CHRONIQUE

Jeter le bébé avec l’eau du bain

En gros, voici l’histoire. Un groupe religieux, l’église du Plateau Mont-Royal, loue depuis un mois l’auditorium d’une école secondaire de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), Jeanne-Mance. Le dimanche, l’église y organise des activités religieuses.

Le pasteur, Bradley Morrice, ne se contente pas de louer l’auditorium. Il a rencontré la directrice de l’école pour lui offrir de l’aider bénévolement. Elle lui a fait défiler la liste de ses besoins : aide aux devoirs, allongement des heures d’ouverture de la bibliothèque, etc. Le pasteur lui a proposé d’embaucher un orthopédagogue.

C’est la journaliste Marie-Ève Tremblay, de Radio-Canada, qui a sorti cette histoire qui soulève deux questions délicates.

1. Doit-on louer des locaux à des groupes religieux ?

2. Doit-on accepter leur aide bénévole ?

En ce qui a trait à la location des locaux, la question est plus compliquée qu’il n’y paraît. Parlez-en au Collège de Maisonneuve et au Collège de Rosemont, qui en ont loué à Adil Charkaoui. Ils ont rompu leur contrat parce qu’ils voulaient se donner le temps d’enquêter sur le caractère fondamentaliste des projets de M. Charkaoui, qui y donnait des cours d’arabe et de religion le dimanche.

Quand cette histoire a éclaté, la présidente de la CSDM, Catherine Harel Bourdon, a demandé qu’on examine les contrats de location pour vérifier si M. Charkaoui en faisait partie.

Une école peut-elle louer des locaux à des groupes religieux ? La CSDM signe 2000 contrats de location par année avec des groupes de toutes sortes, communautaires ou religieux, sans oublier les scouts, les syndicats, etc. Ce business rapporte 560 000 $ par année.

Le problème : les groupes religieux. Certains sont idéologiquement acceptables, d’autres non. Je pense, entre autres, aux intégristes, aux sectes, etc.

Où tracer la ligne ? Est-ce aux commissions scolaires de se pencher sur les subtilités des religions et de séparer le bon grain de l’ivraie ?

Les groupes religieux pourraient profiter de leur présence dans une école pour se donner un vernis de crédibilité. Les jeunes sont malléables et influençables, ne l’oublions pas.

Deuxième problème : l’aide bénévole. Ici, il n’y a pas de ligne à tracer ni de questions à se poser. La réponse est claire et nette : les groupes religieux ne devraient pas faire de bénévolat dans les écoles. Quel groupe religieux ne rêve pas d’entrer dans une école ? Les élèves forment une clientèle captive facile à séduire, surtout si l’église bénéficie de l’autorité morale et de la bénédiction de l’école.

Le Québec a eu toutes les misères du monde à sortir la religion de l’école. On ne va tout de même pas la laisser entrer de nouveau par la porte de derrière sous prétexte que les commissions scolaires sont affamées.

Le pasteur Bradley Morrice a offert à la directrice de Jeanne-Mance de s’occuper de l’aide aux devoirs. Qu’est-ce qui nous garantit qu’il n’en profiterait pas pour parler de Jésus entre deux problèmes de mathématiques ?

Interrogé par Radio-Canada, Bradley Morrice a juré qu’il n’était pas là pour évangéliser, mais il a tout de même ouvert une petite porte. « On est là pour aider, a-t-il dit. Si quelqu’un nous pose la question “Pourquoi tu es ici ?”, je vais sûrement glisser un mot [pour expliquer] que c’est Jésus qui me dit de chercher le bien-être de mon quartier et d’aimer mon prochain. »

J’ai parlé à Catherine Harel Bourdon, qui m’a juré qu’aucune entente n’avait été signée avec l’église du Plateau pour du bénévolat. Pour l’instant, il n’y a qu’une proposition de Bradley Morrice. Mais elle ne ferme pas complètement la porte.

« On va regarder ce qu’ils proposent sur une base individuelle en fonction de nos besoins. Il n’est pas question, par contre, de donner le contrôle de la bibliothèque à un groupe religieux. »

— Catherine Harel Bourdon,  présidente de la CSDM

Selon Mme Harel Bourdon, les règles qui encadrent la location des locaux et le bénévolat sont claires.

Claires ? Je dirais plutôt pleines de trous, car tous les groupes sont mis dans le même panier, religieux ou pas.

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J’ai demandé à Catherine Harel Bourdon si elle connaissait l’église du Plateau Mont-Royal. « Seulement ce que j’en ai lu dans les médias », m’a-t-elle répondu. C’est-à-dire pas grand-chose.

Cette église a été fondée le 5 mars 2014, selon le registre des entreprises. Elle se présente comme une église protestante baptiste jeune, branchée et préoccupée par les besoins du quartier. Une église 2.0. Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’elle est financée en partie par un groupe religieux américain dont le siège est en Floride, la Spanish River Church, fondé en 1967 par le révérend David Nicholas. Sous son règne, le groupe a prospéré. Il a implanté plus de 200 églises aux États-Unis, au Canada, en Haïti, en Inde et au Tchad, sans oublier une école de 600 élèves et des orphelinats.

Sur le site de la Spanish River Church, on peut lire ce commentaire de Bradley Morrice : « L’évangélisation au Québec progresse très lentement. »

L’évangélisation, tiens, tiens.

Pourquoi le pasteur Morrice n’a pas parlé de son lien avec la Spanish River Church à la journaliste de Radio-Canada ?

J’ai rencontré le pasteur chez lui, dans son appartement de la rue Saint-Denis, dans le Plateau, qui lui sert de quartier général.

« La Spanish River Church n’est qu’un partenaire financier, rien de plus », a-t-il précisé.

La Spanish River Church donne 7500 $ par année à l’église du Plateau, sur un budget total de 200 000 $, a dit le pasteur Morrice. Quatre autres églises protestantes ainsi que ses 70 fidèles lui versent aussi de l’argent.

Après ma rencontre, Bradley Morrice a ajouté à son site web une page qui énumère les noms des églises qui le financent.

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Les problèmes financiers de la CSDM sont archiconnus : déficits chroniques et compressions dans les services aux élèves. Difficile de résister quand un pasteur cogne à la porte de l’une des plus grosses écoles de la commission scolaire pour offrir son aide.

Le désengagement de l’État a un prix. Les écoles, désespérées, sont prêtes à accepter de l’aide, peu importe d’où elle vient.

Il serait plus sage de refuser tous les groupes religieux, que ce soit pour leur louer des locaux ou accepter leur aide, de verrouiller cette porte qui soulève davantage de problèmes qu’elle n’en résout. Bref, de jeter le bébé avec l’eau du bain.

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