Chronique

Tout le monde l’écrit

Une de mes amies, dans la quarantaine avancée, me confie : « Mon ado de fille m’a ouvert un compte Facebook, il y a un mois. C’est cool. La semaine dernière, elle m’a dit qu’il fallait que j’arrête de juste partager les statuts des autres, qu’il fallait que moi aussi j’exprime mes opinions. J’aimerais ça, mais j’ose pas le faire, je fais trop de fautes quand j’écris. »

Tous les gens n’ont pas cette pudeur. Si on donnait un dollar à la Société canadienne du cancer pour chaque faute d’orthographe que l’on commet sur les réseaux sociaux, on soulagerait bien des gens. (En passant, c’est pas fou comme idée de collecte de fonds. Après le Ice Bucket Challenge, le Défi Orthographe.)

Sous la pression de sa fille, mon amie va sûrement se mettre à rédiger de brefs commentaires sur sa page. Elle s’armera d’un dictionnaire et d’un Bescherelle, fera souvent des erreurs, mais elle va écrire, chose qu’elle n’aurait jamais faite avant. On s’amuse à pourfendre le monde 2.0, et pourtant grâce à lui, l’humanité n’a jamais autant écrit. Des courriels, des textos, des blogues, des statuts Facebook, des tweets, des messages privés, les gens s’expriment en écrivant.

Mon père était comptable, il se servait de son crayon pour transcrire des colonnes de chiffres et signer des chèques. C’est tout. Il n’écrivait même pas une carte postale à Kennebunk. Aujourd’hui, il n’aurait pas le choix. J’ai plein de copains qui n’écrivaient jamais, à part à la Saint-Valentin, et aujourd’hui, ils se font aller le pouce sur le téléphone.

Les gens s’interpellent par l’écriture. Les mots du quotidien sont plus lus qu’entendus. T’es où ? Que fais-tu ? On se voit ce soir. Je t’aime. Même les baisers deviennent des lettres. XXX. C’est nouveau dans l’Histoire de l’Homme et de la Femme. On est loin du temps où seuls les moines maniaient la plume. La technologie nous a remis en contact avec l’alphabet. 

On croyait que l’avenir serait des 1 et des 0. Eh bien non, ce sont des O et des A. C’est fou.

Les sinistres diront qu’il ne s’est jamais écrit autant de niaiseries. C’est vrai. Parce que depuis Adam et Ève, quand les humains s’expriment, c’est souvent pour dire des niaiseries. C’est pas nouveau. On en a toujours dit. On en dira toujours. Avant on les disait autour de nous, maintenant, l’autour de nous a un rayon beaucoup plus grand. Les épais ne se sont pas mis à être épais à cause de Facebook. C’est juste que grâce à Facebook, on peut perdre son temps à les lire. On peut aussi ne pas le faire.

Dans ce monde où l’on se présente aux autres en écrivant, il devient essentiel de savoir bien écrire. C’est vrai qu’il y beaucoup de gentils utilisateurs qui écrivent tout croche, c’est normal. Avant ils n’écrivaient pas pantoute. On ne peut pas leur demander, du jour au lendemain, d’écrire comme Gilles Vigneault. Ils écrivent comme ils parlent parce qu’avant, ils ne faisaient que parler. Maintenant qu’ils sont de nouveaux rédacteurs, aidons-les à apprendre cet art.

Il faut, contrairement à tout ce qu’on entend, plus que jamais que le ministère de l’Éducation valorise l’apprentissage de l’écriture du français. C’est pas le temps de mettre ça en veilleuse. C’est pas le temps de donner 100 % même à ceux qui font 10 fautes par ligne. Au contraire. L’écriture est partout, c’est pas le temps qu’elle quitte l’école. C’est pas le temps de dispenser qui que ce soit de la maîtriser. Les scientifiques, les élèves en difficulté en ont autant besoin que les étudiants en littérature. L’écriture est maintenant la matière dont tout le monde a besoin. Et comment apprend-on à écrire ? En lisant. Il faut montrer à écrire et à lire. Devant tout le reste, c’est la connaissance fondamentale. C’est le véhicule pour visiter l’univers. 

L’internet, ce n’est que des mots. Des mots écrits, des mots chantés, des mots prononcés. Penser internet, ça reste penser avec des mots. Et plus que l’on maîtrise les mots, plus que l’on maîtrise sa pensée.

Si mon amie a peur d’afficher ses statuts, c’est parce qu’elle a peur d’être jugée. Oui, on bafoue l’orthographe sur les réseaux sociaux, mais en même temps, elle est gage de considération. Une opinion sera beaucoup plus respectée si elle est écrite avec soin. Un texte bien ficelé fera toujours meilleure impression.

Tous ceux qui écrivent souhaitent être lus. Tous ceux qui écrivent souhaitent que leurs mots comptent. Le vocabulaire, la syntaxe, l’orthographe et le style seront toujours des critères essentiels pour évaluer un propos.

Savoir écrire n’a jamais été aussi important. L’apprentissage de la langue n’est pas une dépense, c’est un investissement.

J’espère que mon amie va commenter ce texte. Et le ministre aussi !

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.