Opinion  Éducation

Comment tuer la passion de l’enseignant

Monsieur le premier ministre,

Je suis enseignant depuis 1983. Après toutes ces années, je peux affirmer que j’ai fait une belle carrière dans le domaine de l’éducation. Par amour, je me suis beaucoup investi auprès des jeunes afin de les aider à mieux construire leur vie.

Prof d’enseignement religieux, recyclé en prof de morale et maintenant muté en prof d’éthique, j’ai poursuivi mon chemin, parfois péniblement, mais avec conviction. Bien que difficile et exigeant, ce travail m’a permis de m’accomplir et de réaliser de beaux projets pour les élèves.

M. Couillard, laissez-moi vous en présenter un qui me tient particulièrement à cœur. Depuis 1998, j’ai amené plus de 1500 adolescents à la Place des Arts et à la Maison symphonique de Montréal afin de leur faire découvrir la musique classique, les grands concerts en soirée et l’OSM. J’ai aussi amené ces mêmes élèves au Musée d’art contemporain de Montréal afin qu’ils apprivoisent l’art actuel et qu’ils rencontrent des artistes importants tels BGL, Nicolas Baier, Yannick Pouliot et Marc Séguin. Sachez aussi que je ne suis pas le seul enseignant à m’investir autant afin de toucher et d’éveiller les jeunes !

Malheureusement, à la lumière de vos offres mesquines, méprisantes et choquantes, vous êtes en train d’anéantir ma motivation et ainsi tuer cette passion qui m’a animé depuis plus de 32 ans. C’est grave !

Monsieur Couillard, on ne peut saccager un système sans un épuisement de ses ressources.

Les conditions de travail que vous voulez imposer aux enseignants sont telles que vous les rendrez malades. Qui prendra la relève dans ces conditions insoutenables ? Où seront les suppléants ? Les élèves et leur réussite, dans tout cela ? Mission impossible !

Monsieur le premier ministre, vous ne connaissez hélas pas les exigences de l’enseignement au primaire et au secondaire. Ce travail n’a jamais été facile, mais il est devenu beaucoup plus exigeant et épuisant avec le temps. En voici les causes : la complexité humaine de notre engagement, la lourdeur de la tâche, la réforme improvisée/indigeste et le manque d’autonomie professionnelle.

Je pourrais aussi vous parler des élèves qui viennent se confier à moi sur l’heure du dîner. Je les écoute et les soutiens, car ils ont besoin d’aide. Pourtant je ne comptabilise ni ne facture ce temps. Je vous répète que je ne suis pas le seul à m’impliquer ainsi. Et vous voulez en rajouter encore davantage. Je trouve cela hallucinant !

Monsieur le premier ministre, il n’est pas trop tard pour corriger cette tragédie en devenir, car nous sommes en négociation. Si vous apprenez à respecter la compétence des enseignants, à les écouter, à créer un environnement professionnel favorable à l’apprentissage des élèves des écoles publiques, vous contribuerez à construire une société plus équitable, plus juste et plus solide. Au lieu d’appauvrir notre système d’éducation publique, il faut au contraire l’enrichir en lui octroyant les moyens nécessaires.

Pour ce qui est des milliards que vous cherchez à tout prix, pour l’avenir de nos jeunes, allez vers les riches. Allez vers les banques, les pétrolières… allez vers ceux qui s’enrichissent infiniment, mais qui en redonnent si peu à la collectivité. M. Couillard, imaginez combien ça serait merveilleux si les banques donnaient un maigre 2 % de leurs profits annuels à nos écoles ! Allez aussi vers ceux qui ont volé notre argent. La commission Charbonneau fut à cet égard révélatrice. Aussi, mettez un terme à de généreuses primes telles que celles octroyées à l’ex-ministre Bolduc et à Thierry Vandal. Ça n’a aucun sens, dans votre contexte d’austérité !

M. le premier ministre, soyez audacieux et novateur dans le bon sens. Il en va de l’avenir de nos jeunes, de nos écoles publiques et de notre société.

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