Deux fois plutôt qu’une

Vainqueur à Québec vendredi, l’Australien Michael Matthews a remis ça hier en remportant le Grand Prix de Montréal.

« Je ne peux pas encore le croire »

Michael Matthews ne porte pas tellement bien son surnom. « Bling », ça pourrait se résumer à une quincaillerie de bijoux, faux ou d’un luxe ostentatoire. Bref, ça colle à quelqu’un qui en jette ou qui vit au-dessus de ses moyens.

L’Australien porte deux petites boucles d’oreille, mais il y a belle lurette qu’il a rangé bracelets et autres chaînes dans un coffret. À la place, il fait parler ses jambes. Et ce n’est pas du toc !

Sonny Colbrelli peut en témoigner. L’Italien de Bahrain-Merida pensait bien avoir gagné à 20 mètres de l’arrivée du Grand Prix cycliste de Montréal, hier après-midi.

Mais 48 heures après sa victoire à Québec, Matthews en avait toujours dans le réservoir, produisant un ultime coup de reins pour s’imposer de nouveau, cette fois de justesse.

« Ç’a été un effort de 110 % juste pour me rendre à la ligne d’arrivée, j’en suis presque mort en la traversant ! », a dit le gagnant, encore incrédule en conférence de presse.

« C’était juste assez. Je suis peut-être parti d’un peu trop loin, mais j’ai eu la chance d’avoir suffisamment de puissance pour revenir. »

— Michael Matthews

Deuxième, Colbrelli n’a pu que s’incliner devant la démonstration de son rival, qui a dû faire un large écart sur l’avenue du Parc pour venir prendre sa roue et se couper du vent. Le Belge Greg Van Avermaet a encore dû se contenter de la troisième place, son septième podium au Canada pour une victoire. « Frustrant, mais je ne peux rien y changer maintenant, j’essaierai une autre fois », a dit en soupirant le champion olympique.

Le balayage de Matthews est le deuxième de l’histoire des Grands Prix cyclistes canadiens après celui de Simon Gerrans en 2014, un autre Australien qui disputait peut-être sa dernière course World Tour hier.

« Pour être honnête, je ne peux pas encore le croire moi-même, a réagi Matthews. Quand j’ai vu Simon Gerrans réussir cela en 2014, j’étais à la Vuelta et c’était grandiose pour le cyclisme australien de voir l’un des nôtres gagner ces deux courses de suite. C’est devenu un objectif majeur pour moi de tenter de réussir la même chose. Simon a décroché tellement de résultats fantastiques, il a vraiment été un modèle pour moi. C’est très triste de penser qu’il ne sera plus dans le peloton la saison prochaine. »

« Une petite accélération de plus… »

Malgré l’ajout d’une côte supplémentaire sur le mont Royal, l’épreuve de 195,2 km a pratiquement été un copié-collé des années précédentes, avec une échappée partie tôt et maintenue à distance raisonnable par les Sunweb de Matthews et les BMC de Van Avermaet.

Devant un public conquis, les Québécois Hugo Houle (Astana), Adam Roberge (équipe canadienne) et Charles-Étienne Chrétien (équipe canadienne), plus jeune partant à 19 ans, ont roulé en tête pendant plus de 140 km. Le Canadien Nigel Ellsay (Rally Cycling) et le Britannique Owain Doull (Sky) les ont accompagnés. Leur avance n’a jamais atteint les six minutes.

La course s’est animée avec trois tours à faire quand le Belge Tim Wellens, vainqueur en 2015, a attaqué dans la voie Camillien-Houde. Le jeune Slovène Matej Mohoric a ensuite tenté sa chance dans la descente, accompagné de son compatriote Jan Polanc et de l’Autrichien Gregor Mühlberger.

Les efforts de ces grimpeurs n’ont pas suffi à ébranler les équipes intéressées par un sprint final. À la dernière ascension de Camillien-Houde, tout le monde s’est regroupé avant d’autres salves du Britannique James Knox, de Jakob Fuglsang et de Wellens encore. Le Français Benoit Conesfroy, champion du monde espoirs, s’est envolé dans la nouvelle côte à trois kilomètres de la ligne, mais son aventure n’a pas duré.

Une quarantaine de coureurs s’est présentée au pied du virage ultime. Matthews a raté cette courbe en épingle, si bien qu’il ne croyait plus en ses chances à 500 mètres du but.

« À ce point-là, j’étais presque heureux de faire un podium, a-t-il admis. J’ai juste essayé de dépasser le plus de coureurs que je pouvais. Je les reprenais un à un. Je me disais : OK, je suis heureux avec une deuxième place. Mais quand je me suis remis dans la roue de Colbrelli, j’avais encore une petite accélération de plus en moi… »

Un sprint à la Peter Sagan, le grand absent dont le nom n’a pas été prononcé pour la première fois de la semaine. Matthews s’était chargé de le faire oublier.

« Peut-être la meilleure course de ma vie »

— Guillaume Boivin

Après une belle démonstration à Québec, les cyclistes canadiens, jeunes et moins jeunes, ont de nouveau fait sentir leur présence au Grand Prix de Montréal, hier, sur le mont Royal. Guillaume Boivin a encore été le meilleur en terminant 19e, dans le même temps que le gagnant Michael Matthews.

Moins de trois mois après s’être fracturé un tibia, Guillaume Boivin ne cachait pas sa joie d’avoir frayé avec les meilleurs puncheurs au monde sur le difficile parcours du mont Royal.

« C’est la première fois que j’arrive pour la gagner à Montréal, a souligné l’athlète de 29 ans. Avec le niveau des coureurs ici, je pense que c’est l’une de mes meilleures courses, sinon peut-être la meilleure course que j’ai faite de ma vie. Parfois, ce n’est pas que le résultat qui compte, c’est le résultat avec le niveau des coureurs. »

Le Montréalais d’Israel Cycling Academy était particulièrement fier du travail en tête de peloton de ses équipiers Guy Nagiv, Guy Niv et Nathan Earle, qui lui ont permis de bien se positionner durant toute l’épreuve. « J’étais bien placé pour le dernier virage en U, malheureusement, mes jambes n’étaient plus vraiment là pour faire le sprint. » Durant sa convalescence, Boivin s’est employé à perdre un peu de poids, ce qui lui a permis de tenir le rythme sur un parcours aussi accidenté, croit-il. « Avec ça, tu peux commencer à rêver et aller chercher le 1 ou 2 % de plus pour faire le sprint. C’est super encourageant. »

Boivin a eu une pensée pour Clément Ouimet, le cycliste de 18 ans qui s’est tué l’an dernier sur la voie Camillien-Houde après une collision avec une voiture. « J’espère que Clément a apprécié le spectacle d’en haut. On a donné notre maximum. »

Roberge : « Dur et incroyable en même temps ! »

Avec la disparition attendue de l’équipe montréalaise Silber Pro, Adam Roberge est toujours à la recherche d’un contrat pour la saison prochaine. Il a eu des contacts avec quelques formations, dont l’Israel Cycling Academy de Boivin. En échappée sur plus de 140 km au GP de Montréal, l’athlète de 21 ans ne pouvait présenter un meilleur argument de vente.

« J’essaie de donner mon meilleur à chaque course, le reste, je ne peux pas le contrôler », a réagi l’étudiant en kinésiologie à l’Université de Montréal. « Une super belle journée, je ne peux pas être plus reconnaissant. C’était vraiment dur, mais incroyable en même temps ! »

Roberge a aussi remercié son coéquipier et compagnon d’échappée Charles-Étienne Chrétien, qui s’est sacrifié pour lui permettre de se rendre le plus loin possible. « J’ai deux ans de plus que lui, mais je n’aurais jamais été capable de faire ça à ma première année senior. Il a tout un potentiel. »

Houle a fait son travail

Hugo Houle a été le 102e et dernier coureur à rallier l’arrivée, une douzaine de minutes après le vainqueur Michael Matthews. À ce point-là, ça n’avait plus aucune importance. En échappée pendant 140 km, le cycliste de Sainte-Perpétue a fait son travail pour l’équipe Astana, même si Michael Valgren (8e) n’a pas vraiment été en mesure de le concrétiser.

« De toute façon, je savais que c’était juste pour mettre de la pression sur les autres équipes, économiser les gars derrière, a-t-il expliqué. J’ai donné tout ce que j’avais. Je n’avais pas de super jambes aujourd’hui, j’ai souffert pas mal. Mais j’ai donné tout ce que j’avais et j’espère que les gens ont apprécié. »

« Des monuments en dehors de l’Europe »

En visite éclair de 24 heures à Montréal pour assister au Grand Prix, le président de l’Union cycliste internationale, David Lappartient, a confirmé la volonté de la fédération de créer un nouveau circuit mondial des grandes classiques, qui comprendrait une vingtaine d’épreuves.

« Sur les courses d’un jour, on peut avoir une vision plus internationale de notre sport », a expliqué M. Lappartient, qui avait passé « deux-trois heures » la veille à en discuter avec le président des GP canadiens, Serge Arsenault.

« Il y a des courses qui ont fait historiquement le cyclisme – je pense à Paris-Roubaix et au Tour des Flandres – et il y a les courses qui sont devenues historiquement des monuments en dehors de l’Europe. Montréal et Québec en font partie. Potentiellement, on peut avoir de nouvelles courses dans de nouveaux pays et de nouveaux continents. »

Cette nouvelle série intégrée, dont les bases feront l’objet de discussions entre les organisateurs, les équipes, les coureurs et l’UCI mercredi à Madrid, pourrait voir le jour en 2020, a souhaité M. Lappartient.

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