PROJET TRANS MOUNTAIN

Ces oléoducs qui nous relient et nous déchirent

Il ne fait aucun doute que l’oléoduc Trans Mountain relève de la compétence du Parlement fédéral en tant qu’« ouvrage » de transport qui relie une province à une autre au sens de la Loi constitutionnelle de 1867. Nul besoin d’adopter une loi pour le confirmer. Toutefois, la question de la compétence ne règle pas tout.

Plusieurs commentateurs s’insurgent contre le fait que la Colombie-Britannique semble mettre en doute, voire défier la compétence fédérale sur l’oléoduc. On suggère même qu’Ottawa réplique en lui supprimant ses paiements de transfert ! Pourtant, la question de la compétence n’est pas, comme le fédéralisme d’ailleurs, une question de « tout ou rien ». Le fait que le fédéral ait compétence sur l’oléoduc ne rend pas les lois provinciales environnementales nécessairement invalides, inapplicables à l’ouvrage fédéral, ou inopérantes.

Dans le cas qui nous occupe, la Colombie-Britannique a « menacé » d’adopter un règlement sur le transport du bitume. Les raisons à l’origine de cette annonce sont sûrement politiques, et visent probablement à décourager Trans Mountain, tout en réveillant les ardeurs de la société civile.

Toutefois, une province peut légitimement adopter des lois et règlements sur l’environnement qui seront présumés valides, à moins qu’un tribunal les déclare inconstitutionnels.

La Cour suprême a même dit, dans l’Affaire du registre des armes d’épaule, que «  [l]’intention d’un ordre de gouvernement d’empêcher un autre de réaliser un objectif de politique générale auquel il ne souscrit pas ne mène pas, à elle seule, à la conclusion qu’il y a empiétement sur-le-champ de compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement ».

De plus, les lois provinciales présumées valides ne seront inapplicables au projet d’oléoduc que si elles entravent son « cœur », ou son contenu essentiel. Ainsi, les tribunaux ont jugé que déterminer l’emplacement d’un éventuel oléoduc faisait partie de ce cœur, et qu’une municipalité ne pouvait, par ses règlements, en bloquer la construction. Toutefois, si on exclut le blocage, les interventions provinciales ne sont pas toutes problématiques.

Enfin, pour que les lois et règlements provinciaux soient déclarés inapplicables par les tribunaux, encore faut-il que ces derniers soient appelés à se prononcer et qu’ils concluent à l’existence d’une entrave à la compétence fédérale sur l’oléoduc.

Il n’est pas clair non plus qu’en adoptant une loi pour faciliter la construction de cet oléoduc, Ottawa pourrait évincer la compétence provinciale en rendant les lois provinciales inopérantes. En effet, les lois provinciales valides seront déclarées inopérantes uniquement dans la mesure où elles entrent en conflit avec les lois fédérales. Et, encore une fois, il revient aux tribunaux de se prononcer sur la présence d’un conflit.

Or, au cours des dernières années, les tribunaux ont rendu très difficile la démonstration d’un conflit entre une loi fédérale et une loi provinciale. Il faudrait qu’une loi permette ce que l’autre interdit, ou qu’elles aient des objectifs fondamentalement divergents. Les tribunaux ont rendu cette preuve difficile, car, au nom du fédéralisme flexible et du principe démocratique, ils ne veulent pas limiter outre mesure l’application de lois provinciales valides adoptées par des assemblées législatives dûment élues.

L’imposition de conditions supplémentaires par la province dans une perspective de respect de l’environnement n’entraîne donc pas nécessairement une réponse juridique claire, car les tribunaux sont bien conscients du délicat équilibre à opérer entre intérêts provinciaux et fédéraux également valides.

Pourquoi alors reprocherait-on à une province de recourir aux tribunaux pour déterminer de la constitutionnalité de sa stratégie ?

Pourquoi les intérêts des citoyens albertains favorables à l’augmentation de la production du pétrole (car l’oléoduc vise à permettre l’augmentation des flots actuels), ceux des entreprises privées, et même ceux de la fédération au grand complet, devraient-ils immédiatement prévaloir sur les intérêts des citoyens britanno-colombiens, directement touchés en cas de déversement ? Et qu’en est-il des intérêts des peuples autochtones que, dans leurs récents échanges musclés, les gouvernements albertain et britanno-colombien, tout comme leur homologue fédéral, semblent avoir oubliés ?

En vérité, la complexité de la question de l’application des lois environnementales provinciales à un ouvrage de compétence fédérale comme un oléoduc interprovincial n’est que le reflet de la complexité des enjeux sociaux, économiques et environnementaux sous-jacents à la construction de l’oléoduc. Et le droit constitutionnel n’aura pas le dernier mot. Celui-là appartient aux citoyens qui exerceront éventuellement leur droit de vote – ou se feront entendre autrement.

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