OPINION 

SYSTÈME D’ÉDUCATION
Merci quand même, M. Gérin-Lajoie !

Lundi, un grand homme s’est éteint. Un être totalement engagé envers les jeunes. Un visionnaire. Paul Gérin-Lajoie sera reconnu à tout jamais comme le père du réseau scolaire public québécois. 

À l’époque de la Révolution tranquille, il a convaincu Jean Lesage et d’autres ministres d’investir massivement en éducation. Lors d’une conférence, je l’ai entendu témoigner que ce n’était pas toujours facile et que cela lui prenait du courage pour confronter les idées de son chef et de ses homologues. En tant que ministre de l’Éducation, il a défendu l’intérêt des jeunes sur toute la ligne.

M. Gérin-Lajoie a compris très tôt que l’éducation et la formation étaient un investissement. Il savait que l’ignorance était encore plus onéreuse, tant individuellement que collectivement.

C’est pour cela qu’il a aussi créé une fondation et s’est dévoué à l’alphabétisation, la scolarisation et la formation professionnelle dans les pays en développement.

M. Gérin-Lajoie a poursuivi son œuvre tout au long de sa vie puisque les sociétés « en développement », il connaissait cela. Avant la Révolution tranquille, le Québec en était une. En effet, les Québécois francophones constituaient un groupe social sous-scolarisé à cette époque.

Si une plus grande part de la population francophone du Québec a pu s’instruire, avoir accès à des programmes de formation spécialisée et supérieure, c’est grâce à Paul Gérin-Lajoie. En tant qu’universitaire issu d’une famille de mères au foyer, d’agriculteur et de travailleur, je l’en remercie.

Pour parvenir à mettre sur pied un réseau scolaire performant, il a fallu de la solidarité, de l’énergie, des investissements, des efforts individuels, un engagement collectif et de la confiance. Que nous reste-t-il de tout cela aujourd’hui ?

Une absence de vision

À mon avis, il n’y a pas eu d’autres ministres de l’Éducation au Québec qui ont défendu les intérêts des jeunes au sein d’un gouvernement avec autant de cran que M. Gérin-Lajoie. Tous ont tenté de laisser leur marque en implantant, voire imposant, une réforme quelconque tantôt pédagogique, tantôt administrative, tantôt structurelle…

Pour leur part, les récents premiers ministres se sont mis à sabrer massivement les investissements dans le réseau scolaire pour ensuite réinjecter, de manière épisodique, des sommes inférieures dans un dessein électoraliste. Cela démontrait leur absence de vision à l’égard de l’éducation pour les prochaines générations.

Ainsi, on trouve encore au Québec une population où la moitié des gens éprouve des difficultés de littératie.

On tente de nous faire croire que la situation s’améliore en rapportant des taux de diplomation à la hausse. Or, plusieurs intervenants dans les milieux scolaires savent que ces taux sont viciés, car des résultats sont falsifiés. Pis encore, certains diplômes accordés demeurent sans valeur réelle sur le marché de travail, car les jeunes l’obtiennent sans savoir correctement lire, écrire ou compter.

Le phénomène du « gonflage » des notes est un sujet tabou dont personne ne veut parler. Bien qu’il ait dû y faire face dans le cadre de la dernière session parlementaire, le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx ne s’y est pas attaqué. Aucune enquête interne n’a été menée.

Ce manque de leadership témoigne du laxisme qui a lieu dans des établissements scolaires et qui est endossé par l’État. Ce laisser-aller s’est répandu jusqu’à l’entretien des bâtiments et des édifices. À l’aube de la prochaine campagne électorale, le gouvernement Couillard tente soudainement de maquiller rapidement la vétusté des écoles dans l’espoir de gagner des électeurs…

Par ailleurs, le projet de Lab-école néglige l’expertise à la faveur de la médiatisation, des apparences et du sensationnalisme. On préfère que des « vedettes » cherchent et proposent des solutions pour réinventer l’école sans consulter une part des 100 000 pédagogues en fonction dans le réseau. Cela illustre, encore une fois, le mépris ou la méfiance de l’État québécois à l’égard de celles et ceux qu’ils aiment appeler banalement des « profs » !

Qui plus est, la gouvernance labyrinthique du réseau scolaire public, son dirigisme sourd et l’absence de réels programmes adaptés aux besoins des élèves ont mené à la croissance du réseau scolaire privé.

Cela alimente la ségrégation sociale des jeunes et mine la cohésion sociale. Aujourd’hui, la part de la population scolaire québécoise qui fréquente le secteur privé est comparable à celle qu’on retrouve dans certains pays d’Amérique du Sud !

Quand je pense aux plus récents ministres québécois qui ont accepté de porter le dossier de l’éducation, il m’est triste de constater que M. Gérin-Lajoie n’a pas pu inspirer ses successeurs, et ce, au sein même de son propre parti politique ! Qui a défendu avec aplomb l’intérêt des élèves et protégé le réseau scolaire à l’encontre des impératifs politiques et des contraintes économiques momentanées ?

Enfin, aucun n’a su partager, par sa parole et ses actions, une réelle vision qui a mobilisé le Québec à l’égard de ses écoles. J’en déduis que Paul Gérin-Lajoie était un être sincère et unique. Un politicien d’exception.

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