LA VIRÉE DES GALERIES

Quelles sont les expositions à voir ce week-end ? Chaque jeudi, nos critiques en arts visuels proposent une tournée de galeries et de centres d’artistes. À vos cimaises !

Cynthia Girard-Renard

Le carnaval de nos errements

Elle est une des artistes québécoises les plus innovantes de sa génération, alliant fraîcheur, irrévérence et riche contenu critique. Cynthia Girard-Renard fait l’objet de deux expositions marquantes, au Musée d’art de Joliette et à la galerie Hugues Charbonneau, à Montréal. Deux expositions où culture populaire et dimension politique s’accordent comme larrons en foire !

Plus puissante que jamais dans l’expression, Cynthia Girard-Renard expose à Joliette 10 des 12 immenses tableaux de sa série Nos maîtres les fous. Des œuvres aux couleurs vives qui font grande impression sur les cimaises du musée d’art lanaudois, un lieu parfaitement adapté à leur dimension.

Ces portraits ludiques d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, déguisés en animaux, sont une sorte de satire de nos comportements. Dans Save the Whales, des pieuvres se rebellent et prennent les armes contre l’inconscience humaine. Dans Ni Dieu ni maître, une fable associe une tortue, un renard et un hibou. Le renard se prend pour un anarchiste, mais s’habille en vêtements Hermès. La tortue prône la paix… avec un revolver pourvu d’un drapeau blanc et, si elle incarne la Terre (« Gaïa » est écrit sur sa coquille), elle se crème le corps avec un produit artificiel ! Seul le hibou, horloge du temps, semble se demander ce qu’il est venu faire dans cette galère où l’indifférence par rapport à la santé de la planète sème le chaos jusque dans les montagnes californiennes…

Les tableaux faussement naïfs de Cynthia Girard-Renard ridiculisent également notre perte d’identité, par exemple dans Be Yourself, où la dépendance aux modes ravit l’homme d’affaires qui s’en frotte les mains !

Au milieu de l’exposition, l’artiste a placé un mobile constitué de figurines de lapin, de petits cochons, de chiens, de nounours et de hibou. Des animaux décrits comme des objets utilitaires (tirelire, boîte à biscuits, etc.) et des esclaves de l’homme.

Qu’on ne s’y trompe pas : si l’exposition peut esthétiquement plaire aux enfants, elle ne s’adresse pas à eux.

Au sol, un chien déguisé en policier lit Le système totalitaire, le livre-référence d’Hannah Arendt, encore très éclairant 66 ans après sa sortie. À côté, une fausse peluche en céramique dévore Staying with the Trouble, le livre de Donna J. Haraway qui évoque le goût de l’homme à s’entretuer et, désormais, à détruire sa propre maison. Plus loin, un écureuil perché sur une souche lit Les damnés de la Terre, de Frantz Fanon… Une installation brillante qui, en plus de suggérer des pistes de réflexion, invite discrètement chaque visiteur lucide à apporter sa contribution.

sexualité et fétichisme 

Après La revanche des Sans-culottes, son premier solo à la galerie Hugues Charbonneau au début de 2016, Cynthia Girard-Renard est de retour au Belgo avec une série intitulée Amour et anarchie.

L’artiste diplômée du Goldsmiths College de Londres s’est inspirée d’un film de la réalisatrice italienne Lina Wertmüller – qui se déroule dans un bordel durant la dictature fasciste de Mussolini – pour créer des peintures qui portent sur la résilience et la résistance en temps de crise. Un thème toujours d’actualité.

Si Nos maîtres les fous transmet des messages politiques en les incorporant dans un univers enfantin, Amour et anarchie aborde sans détours la sexualité et les pratiques sexuelles, notamment le fétichisme et le sadomasochisme. Un tout autre contexte pour parler de politique et de comportements humains. Autre contexte, mais même genre de satire, comme un miroir qu’elle nous tend.

Ses œuvres sont complexes, créées sur des toiles que l’artiste a préalablement frottées contre l’écorce d’un arbre… évidemment du mont Royal, la scène de son recueil Le renard vulve. Tous les visages des personnages de Cynthia Girard-Renard ont également été peints avec… ses fesses trempées dans sa palette de couleurs ! Un travail éloquent qui mêle gestualité, recherche du détail et volonté de faire un clin d’œil sans prétention à nos errements…

Nos maîtres les fous, de Cynthia Girard-Renard, au Musée d’art de Joliette (145, rue du Père-Wilfrid-Corbeil, Joliette), jusqu’au 7 janvier

Amour et anarchie, de Cynthia Girard-Renard, à la galerie Hugues Charbonneau (372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 308, Montréal), jusqu’au 20 décembre

LA VIRÉE DES GALERIES

Autres expositions

Un collectif inuit à Venise en 2019

Le collectif d’artistes Isuma (la plus ancienne maison inuite de production vidéo) représentera le Canada à la 58e Biennale de Venise en 2019, a annoncé hier le Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa. Dirigé par Zacharias Kunuk et Norman Cohn, Isuma a pour objectifs de préserver la culture et la langue inuites et de présenter des récits inuits partout dans le monde. Le premier long métrage de fiction d’Isuma, Atanarjuat, la légende de l’homme rapide, a remporté la Caméra d’or au Festival de Cannes, en 2002.

Louis-Pierre Bougie

À l’âge de 71 ans, Louis-Pierre Bougie a décidé de sortir de sa zone de confort en exposant non pas des gravures, mais une dizaine de sculptures en acier, à la galerie Éric Devlin. Des sculptures représentant des têtes juchées sur des échafaudages. Ayant pour titres Africaine, Tête du diable, Skinhead, L’esprit ou encore Demi-chevreuil, elles évoquent les mises en scène de masques africains dans les musées d’anthropologie. Censée finir le 16 décembre, l’exposition est prolongée jusqu’au 21 décembre.

À la galerie Éric Devlin (550, avenue Beaumont, Montréal), jusqu’au 21 décembre

Stéphanie Morissette

Après L’inquiète forêt, lancée en 2015, Stéphanie Morissette dévoile sa nouvelle production à la galerie Dominique Bouffard. Avec Les curieux empires coloniaux, l’artiste canadienne y poursuit sa réflexion sur les comportements humains, son nouveau corpus traitant du colonialisme et de l’obsession humaine de posséder et de contrôler. Dans une mise en scène qui rappelle les musées d’histoire naturelle et les cabinets de curiosités.

À la galerie Dominique Bouffard (372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 508, Montréal), jusqu’au 23 décembre

Le soccer à Marseille

L’année 2018 verra le retour, en Russie, de la Coupe du monde de soccer, l’un des grands rendez-vous sportifs de la planète. À cette occasion, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM), à Marseille, présente Nous sommes foot, une exposition exhaustive sur ce sport. Avec quelque 400 œuvres, objets, photos, installations et vidéos issus des collections européennes. À ne pas manquer si vous voyagez dans la cité phocéenne…

Au MUCEM (7, promenade Robert-Laffont, Marseille, France), jusqu’au 4 février

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