Opinion  C Series

Assez d’hypocrisie, Boeing

La plainte de Boeing à propos des avions C Series de Bombardier vendus aux États-Unis, suivie d’un droit de 300 % imposé par le département du Commerce des États-Unis, suscite une réprobation internationale à la fois assourdissante et apparemment universelle.

Nous ne pourrons jamais savoir si Boeing a été encouragée par le programme protectionniste à Washington. Néanmoins, l’ombre de l’administration Trump plane sur l’initiative malheureuse de l’entreprise.

Boeing affirme que Bombardier a vendu à Delta Air Lines, en 2016, 75 biréacteurs C Series à un prix inférieur à leur coût de production en raison d’une aide gouvernementale injuste. Peu importe que Boeing ait bénéficié depuis des décennies de subventions locales, étatiques et fédérales pour accroître son propre avantage concurrentiel. Le processus judiciaire se poursuit avec la décision finale du département du Commerce attendue la semaine prochaine et celle de la Commission du commerce international des États-Unis début 2018. 

Entre-temps, Bombardier a cédé à Airbus le contrôle du programme C Series et planifie de construire les avions destinés aux États-Unis (le plus grand marché pour les monocouloirs) à l’usine d’Airbus à Mobile, en Alabama.

Avantages substantiels

Dans le tumulte, on en a presque oublié les avantages substantiels que toute la communauté de l’aviation, c’est-à-dire les voyageurs et les secteurs manufacturiers canadien, britannique et américain, tireront du produit innovant de Bombardier et de son partenariat avec Airbus.

Pour commencer, une seconde ligne d’assemblage à construire à Mobile soutiendra le secteur manufacturier américain par la création d’emplois et des investissements directs, faisant des avions C Series destinés aux compagnies aériennes américaines un authentique produit américain.

De plus, grâce au réseau mondial d’Airbus, tout est en place pour accroître les ventes du programme, ce qui offrira aussi d’énormes avantages de ce côté-ci de la frontière. Selon Airbus, la demande mondiale sur le segment des avions C Series sera d’environ 6000 appareils au cours des 20 prochaines années. Depuis l’annonce du futur partenariat, Bombardier a remporté deux commandes importantes, l’une en Europe et l’autre au Moyen-Orient, ajoutant déjà du travail à son usine de Mirabel.

N’oublions pas les pilotes, les voyageurs et les compagnies aériennes. SWISS et airBaltic ont cumulé suffisamment d’heures de vol pour que les avions s’attirent des avis favorables. Leurs attraits : une cabine spacieuse – un couloir, des hublots et des compartiments à bagages plus grands et des sièges plus larges que ceux des autres monocouloirs – et un poste de pilotage à la fine pointe de la technologie ; leur fiabilité ; leurs faibles émissions ; leur faible consommation de carburant dépasse les attentes ; et le fait qu’ils sont environ 50 % plus silencieux que les avions comparables. 

Et tout cela, sans oublier leur plus grande autonomie.

Répliques impitoyables

L’Union européenne est très critique à l’égard de Boeing et du département du Commerce des États-Unis, peut-être en vue d’une action de l’Organisation mondiale du commerce. Même Delta, client de Boeing, a durement contesté la validité de la plainte, accusant Boeing de « pure hypocrisie » et d’essayer de « manipuler les lois commerciales américaines ». La première ministre britannique, Theresa May, a dénoncé les actions de Boeing et le gouvernement canadien a annoncé qu’il annulait son projet d’achat de nouveaux avions F/A-18E/F de Boeing.

Ignorons les suggestions trompeuses de Boeing relatives à un jeu à somme nulle : en effet, la production des avions commerciaux du géant américain est effrénée, ces derniers étant déjà « survendus par rapport à sa capacité de production », selon le grand patron de Boeing lui-même. De plus, il est largement reconnu dans l’industrie aéronautique que les véritables concurrents des avions C Series sont les jets E2 d’Embraer.

Les initiés de l’industrie aéronautique auraient du mal à se souvenir d’un cas similaire où une entreprise risque de s’aliéner tant de ses clients pour un gain si faible.

L’attitude du « tout m’est dû » de Boeing n’est pas passée inaperçue tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’industrie. Les opinions caustiques des think tanks et des organisations de presse ont été impitoyables, même aux États-Unis. « La plainte […] refuse de reconnaître le fait que Boeing ne livre pas concurrence sur le même segment que celui des avions C Series de Bombardier », et Boeing « cherche à punir Bombardier d’utiliser des pratiques de prix auxquelles elle recourt elle-même, » a déclaré le Washington Times.

Intimidation

Pour des raisons non fondées, Boeing cherche à empêcher transporteurs aériens et voyageurs de tirer avantage des avions C Series sur un segment mal desservi de l’industrie. La seule explication plausible est un cas d’intimidation dans la cour de l’aviation commerciale, soutenu par un département du Commerce qui semble prêt à appuyer Boeing même si la requête de ce dernier n’est pas étayée par les faits.

Boeing est un chef de file de l’industrie aéronautique depuis plus de 100 ans. Il est pénible et décevant de voir sa plainte contre Bombardier se poursuivre. Il est difficile d’imaginer comment l’entreprise américaine pourrait en bénéficier à long terme.

Si Boeing l’emporte, Bombardier perdra, ainsi que toute la communauté aéronautique, les voyageurs, et même les États-Unis. C’est pourquoi le département du Commerce et la Commission du commerce international des États-Unis doivent impérativement, dans leur décision finale, faire preuve d’équité, et ce, dans l’intérêt de toutes les parties prenantes.

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