Alimentation

Viril et végé, c’est possible ? 

Les Canadiens sont de plus en plus nombreux à adopter un régime végétarien. Même si pour plusieurs, virilité rime encore avec viande rouge, les perceptions évoluent.

« Quand j’ai annoncé à mon père que je ne mangeais plus de viande, il m’a dit : “C’est quoi la prochaine affaire ? Tu vas virer moumoune ?” », se souvient François Demers, végétalien depuis près de 30 ans. En 1989, le mouvement était encore marginal. Son père l’appelle maintenant pour avoir des conseils parce qu’il veut changer son alimentation.

Les perceptions ont beaucoup évolué, remarque François Demers. Rares sont ceux qui osent maintenant lui faire des remarques désobligeantes sur son régime alimentaire, même si, socialement, on se garde moins de réserves pour le critiquer.

Un sondage de l’Université Dalhousie publié le 30 octobre dernier confirme cette mouvance : 17 % des Canadiens cherchent aujourd’hui à réduire leur consommation de viande ou l’ont bannie de leur alimentation. Les hommes demeurent toutefois plus frileux à adopter un régime à base de plantes, soutient le coauteur de l’étude et professeur à la faculté de management et d’agriculture de l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois.

« Il y a une virilité associée à la viande, dit-il. Chez les hommes, ça semble être un droit fondamental. Pendant longtemps, l’homme n’a pas joué un grand rôle dans la cuisine, mais le barbecue demeurait son domaine réservé. Il en reste des traces. »

« La viande, l’alcool et le fast-food font partie des aliments qu’on associe à l’univers masculin, affirme le nutritionniste Bernard Lavallée, qui s’est penché sur les comportements alimentaires associés aux genres dans le cadre de son mémoire de maîtrise. Évidemment, les aliments n’ont pas de genre en tant que tel, mais on associe des stéréotypes à différents aliments. L’image de l’homme viril qui chasse et qui fait cuire sa viande sur le barbecue fait encore partie de l’imaginaire collectif. Chez certains, cette perception de la masculinité peut être un frein pour adopter le végétarisme. »

Mange ton steak pour être fort

Selon une étude de l’Université de Southampton relayée par The Telegraph, les hommes, en Angleterre, sont réticents à choisir l’option végétarienne dans un restaurant, de peur d’être socialement mal perçus par leur entourage. Et ce, même s’ils ressentent un dégoût pour la viande ou ne peuvent en manger pour des raisons de santé.

« Dans les perceptions, le végétarien, c’est la personne en sandales qui a le teint un peu pâle, qui est faible et un peu anémique, note le chef végane Jean-Philippe Cyr, qui dit se faire reprocher régulièrement sa blancheur sur les réseaux sociaux. La masculinité est associée à la force. Il y a cette perception que parce qu’on mange du muscle, on va développer du muscle. C’est un cliché ! »

Par ailleurs, déplore-t-il, les produits végétaliens visent davantage les femmes avec une esthétique épurée – fond blanc, petites feuilles vertes – alors qu’on vend la viande, comme la bière, dans un environnement foncé. « C’est comme si ce type de produits ne les intéressera pas, de toute façon. »

Plus léger, plus féminin

La diète végétarienne est associée à une alimentation plus santé, moins calorique, qui est susceptible de rejoindre davantage la femme que l’homme. « Traditionnellement, la femme a été préoccupée par sa diète pour des questions d’apparence, et pas uniquement de santé. Chez l’homme, les aliments réconforts sont plus consistants », soutient JoAnne Labrecque, professeure en marketing à HEC Montréal.

« L’un des arguments que j’entends souvent, c’est : “Mon corps réclame des protéines”, note François Demers. Un autre est de ne pas être suffisamment sustenté en ne mangeant que des plantes. Les protéines sont associées à la performance et à l’endurance. Il reste plus facile d’aller les chercher dans la viande que les végétaux », souligne l’experte de HEC. Il y a aussi l’attachement au goût.

Quand ils mangent suffisamment, les végétariens et les végétaliens remplissent ou dépassent leurs besoins en protéines, assure Bernard Lavallée. « Oui, les hommes doivent généralement manger plus de protéines que les femmes parce qu’ils sont plus corpulents, mais la différence, en réalité, devrait être minime. Ce sont des construits sociaux plus qu’autre chose. » Dans les faits, ajoute le nutritionniste, il n’est pas plus difficile d’aller chercher ses besoins nutritionnels avec des végétaux. Il s’agit de savoir les apprêter.

Les temps changent

À l’époque où François Demers est devenu végétalien, les solutions de rechange à la viande étaient rares. C’était avant l’apparition de la fausse viande, du fauxmage et d’une variété de laits végétaux. Notre culture alimentaire est en train de changer. L’argument végétarien est maintenant une valeur ajoutée, constate l’experte en marketing alimentaire Isabelle Marquis. La majorité des véganes et végétariens au Canada ont moins de 35 ans. Il y a clairement une mouvance vers la réduction de la consommation de viande. « C’est plus de 6 millions de gens au Canada qui ont décidé de limiter ou d’éliminer la viande de leur alimentation. Et je ne vois pas comment ce chiffre va diminuer d’ici 10 ans », dit Sylvain Charlebois.

Les enfants qui naissent maintenant vont probablement évoluer avec des parents qui savent cuisiner sans viande, selon Bernard Lavallée. Pour eux, ce sera normal. « Plus il y aura de diversité alimentaire et d’hommes qui se tournent vers le végétarisme, plus les stéréotypes tendront à disparaître. »

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