Mon clin d’œil

Et si la question de l’urne était : qu’est-ce que ça va changer ?

ÉLECTIONS PROVINCIALES OPINION

La CAQ et l’Union nationale, du pareil au même ?

Dès la création de la Coalition avenir Québec (CAQ) en novembre 2011, l’homme d’affaires libéral Charles Sirois et l’ancien ministre péquiste François Legault ont voulu placer leur nouveau parti au-dessus des « vieilles chicanes » qui, disaient-ils, bloquaient depuis 40 ans le développement du Québec.

Loin de la politique partisane : il fallait d’abord et avant tout faire un « grand ménage dans la vie publique », pour le dire comme François Legault. Ce dernier aurait très bien pu reprendre ces mots, prononcés 75 ans auparavant par Maurice Duplessis : « Il y a trop longtemps que les couleurs partisanes ont obstrué la vision des différents groupes politiques au détriment de la province. Il n’est pas question de couleurs, de partis dans cette lutte, il est question de purifier l’atmosphère de l’administration provinciale. » Le premier ministre, mort en 1959, aurait-il trouvé un héritier en François Legault ?

Évidemment, le chef de la CAQ, se donnant 10 ans pour redresser ce qui n’est pas d’équerre au Québec, ne joue pas tout à fait le même jeu que Maurice Duplessis. Il y a bien chez les deux hommes la défense de ce que René Lévesque qualifiait de « ligne Maginot derrière laquelle rien ne doit trop changer », c’est-à-dire un nationalisme plus ou moins revendicateur selon les circonstances, qui ne sort jamais des limites de la Constitution canadienne.

Mais cela n’est pas propre à Duplessis. D’ailleurs, dans son document de 2015 intitulé Un nouveau projet pour les nationalistes du Québec, la CAQ citait ou évoquait Honoré Mercier, Daniel Johnson père et Robert Bourassa, étrange trio qu’on imagine difficilement sur la même glace. Tant qu’à y être, on aurait pu nommer René Lévesque, Lucien Bouchard ou même François Legault, première manière. Le portrait aurait été complet.

Justement, cette volonté de réunir tous ces personnages comme s’ils étaient de la même famille est révélatrice. Et c’est ici que François Legault rencontre la manière Duplessis.

Par un conservatisme plus ou moins figé et des idées qui peuvent bouger à leur aise, il s’agit de se présenter comme l’héritier nécessaire, la troisième voie, celle qui s’élève au-dessus des querelles stériles et qui promet la prospérité dans le calme.

Et c’est ce que promettait aussi l’Union nationale de Maurice Duplessis. Il s’agissait, pour ce faire, de naviguer à vue, avec quelques instruments, comme l’anticommunisme, le libéralisme façon Oliver Twist et le nationalisme. Rien de plus, rien de moins. François Legault, quant à lui, navigue-t-il aussi à vue ? Les positions de la CAQ fluctuent, peuvent varier selon les versions de leur site web. Même son nationalisme, bleu délavé, a de plus en plus de teintes rouges. Un peu plus et François Legault chante l’hymne national canadien. Le parti sait d’adapter.

Cela dit, ce qui me rappelle le plus clairement l’Union nationale dans ce parti et dans cette élection, c’est ce que j’ai appelé, dans un ouvrage récent, le « temps duplessiste ». En effet, l’une des raisons pour lesquelles Duplessis et son gouvernement ont vécu si longtemps est leur capacité de donner aux Québécois une représentation (l’illusion) d’un temps hors dialectique, hors des secousses de l’Histoire. En 1948, Duplessis le disait bien dans l’un de ses discours : « Je suis fier et orgueilleux de la population de Québec. Parce qu’à travers les nuages du chaos économique, à travers ces difficultés sans nom qui secouent sur leurs bases les vieilles nations, il est consolant de constater que la province de Québec donne des éléments et des garanties de stabilité et de sécurité qu’on ne trouve nulle part ailleurs. » Le Québec est. Ici, nul besoin de révolution, comme en 1776, en 1789 ou en 1917. Les changements se feront dans l’ordre.

En se voulant au-dessus des « vieilles chicanes », en reprenant l’image de l’union au-dessus des partis – tradition incarnée par Honoré Mercier et Maurice Duplessis –, la CAQ semble actuellement au beau milieu d’une campagne électorale à laquelle elle a donné sa propre image.

C’est ce que constatait également l’essayiste Mathieu Bélisle dans un texte paru il y a deux semaines dans La Presse : « Ces élections ont ceci d’historique qu’elles confirment la domination des enjeux immédiats et de courte portée […] [C’]est précisément à cette célébration de la “moyenneté” que s’emploie sans relâche le parti qui monte, la CAQ […], en offrant la possibilité de changer sans que personne éprouve le moindre dépaysement, la moindre impression d’altérité. » Ce sont exactement les mêmes mots, les mêmes idées, que j’ai employés pour décrire le temps duplessiste. C’est dire.

Peut-être ne sommes-nous jamais complètement sortis de cette impression d’être déjà arrivés en ville sans même avoir pris le train, comme si tous les changements se faisaient d’eux-mêmes ; comme si entre une « Révolution dans l’ordre » (Daniel Johnson, 1952) et la « Révolution tranquille », nous avions évité la violence du changement, mais au profit d’une belle fatigue. Maintenant, peut-être plus que jamais.

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