Ma vie en livres

Gilles Archambault

Gilles Archambault a célébré 55 ans d’écriture en publiant deux recueils de nouvelles en 2017. À peine un petit air de jazz comprend 34 textes qui vont d’un paragraphe à quelques pages. On y retrouve avec plaisir son style dépouillé, son humour et son regard lucide sur la vie, le temps qui passe et la mort qui vient. Sa vie en livres est aussi riche que l’est sa compréhension fine de l’homme plein d’enfance. — Mario Cloutier, La Presse

Le livre qui vous a permis de connaître l’auteur personnellement ?

Papiers collés II, de Georges Perros

« C’est une sorte de journal personnel, des remarques où il parle de sa conception de la vie, celle d’un Parisien qui a décidé de vivre dans la Bretagne profonde puisqu’il aime le milieu des pêcheurs. Il avait le sens tragique de la vie. Je l’ai rencontré en 1972 chez lui. Un être extrêmement angoissé, d’une culture profonde. C’est l’une des plus importantes rencontres de ma vie. Dans ses écrits, il parlait des livres avec une grande sensibilité. Il avait une conscience très moderne. »

Le livre qui vous a le plus influencé comme écrivain ?

Vie de Henry Brulard, de Stendhal

« C’est une autobiographie qui m’a permis d’aboutir à ce qui a été pour moi important, la littérature personnelle. Il y dit : “Je n’écris que pour cent lecteurs, et de ces êtres malheureux, aimables, charmants, point hypocrites, point moraux, auxquels je voudrais plaire ; j'en connais à peine un ou deux.” Je suis persuadé qu’un écrivain qui écrit pour son public est un écrivain fini. Il faut que les gens viennent à vous. Stendhal me donnait cette permission-là. Il est notre contemporain parce qu’il ne parlait que d’une chose dans la vie, la recherche du bonheur en partant de lui. »

Le livre d’un auteur qui a parfait votre apprentissage d’écrivain ?

Le tout sur le tout, de Henri Calet

« C’est le peintre du 14e arrondissement à Paris. Il sait parler des gens et de lui-même en se moquant. Il était journaliste et ami de Camus. Dans ce livre, il parle des circonstances de sa naissance, de son père, son grand-père. Il y a de l’humour, mais un humour un peu triste. Il sait évoquer les petites gens dans ce qu’ils ont de touchant. Sans insister. Ce que Stendhal a commencé à faire pour moi, Calet l’a achevé. C’est un auteur tendre et drôle. Ce qu’il est comme écrivain, je l’endosse totalement. »

Le livre de votre auteur contemporain favori ?

Le désert des Tartares, de Dino Buzzati

« C’est le plus connu et accessible de ses livres. Un militaire cherche la gloire, mais il est affecté à un fort où la guerre n’arrive jamais. C’est une allégorie de la vie, sur nos espoirs. Journaliste aussi, Buzzati disait tout le temps que cette idée lui était venue en voyant les vieux journalistes amers, complètement déçus par la vie et leur carrière. En photos, dans le visage de Buzzati, on peut lire une angoisse terrible. » 

Le livre auquel comme auteur vous vous identifiez le plus ?

Correspondance de Gustave Flaubert

« Il parle de la vie en écrivain avec un sens de la vie qui ressemble au mien : besoin de solitude, une certaine conscience de sa valeur, mais aussi des doutes. L’écriture lui apportait autre chose que des satisfactions. Il disait en parlant d’Alexandre Dumas : les honneurs déshonorent. Vers la fin de sa vie, il a été obligé d’accepter une aide gouvernementale parce qu’il n’avait plus d’argent. Sinon, il envoyait paître tout le monde. Il a cru en l’amitié de façon très forte. »

Le livre d’un auteur qui vous renvoie à vos propres raisons pour écrire ?

Cahiers d’Emil Cioran

« Je choisis mon Cioran, celui qui donne sa conception de la vie. Je suis incapable d’apprécier à sa juste valeur le côté philosophique. J’aime Cioran quand il parle des écrivains, de la vie, de sa façon de la recevoir. Je remarque, c’est tellement visible, qu’il s’amuse de son désespoir. Il disait : “Je ne prise rien autant qu’une prose squelettique traversée d’un frisson.” Sinon, pourquoi écrire, pourquoi lire ? »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.