Avant de partir

Faut-il se précipiter à Cuba ?

Le mois de décembre plombe votre moral et vous songez à des vacances dans le Sud ? Comme 10 % des Québécois* l’ont fait l’an dernier, il y a fort à parier que vous choisirez Cuba pour aller soigner votre spleen.

Voilà une excellente idée. Parce que c’est encore la destination soleil la moins chère qui puisse se trouver. Parce que l’histoire unique de Cuba lui confère un charme particulier qu’on ne trouve pas dans les autres îles des Caraïbes. Et parce que, avec la levée éventuelle des restrictions commerciales entre Cuba et les États-Unis, de nombreux observateurs craignent que tout cela ne change, et vite. 

Depuis les assouplissements annoncés en janvier dernier concernant les voyages des Américains en terre castriste, le tourisme en provenance des États-Unis, mais aussi de l’Europe, connaît à Cuba une hausse notable.

Un article paru en mai dernier dans le quotidien britannique The Guardian fait état de chiffres à première vue impressionnants : 36 % plus d’Américains sans liens familiaux avec des Cubains ont visité l’île depuis l’annonce de janvier dernier par rapport à la même période l’année précédente. Le nombre d’Américains qui ont gagné Cuba en passant par un tiers pays a grimpé de 57 %.

En pourcentage, c’est vrai, les statistiques frappent. Mais en chiffres nets, ces 57 % se traduisent par 4736 personnes de plus. En regard des 3 millions d’arrivées que Cuba enregistre chaque année, c’est insignifiant.

« On est encore très, très loin de la libre circulation », croit Paul Arseneault, titulaire de la chaire de tourisme Transat et directeur du réseau de veille en tourisme de l’UQAM. « On ne s’en va pas à la vitesse grand V vers un dégel, je n’entrevois pas cela avant au moins cinq ans. De toute façon, les Américains ont leur propre Sud avec la Floride, et ils sont aussi proches du Mexique, qui est très avantageux pour eux au point de vue du taux de change. De plus, l’Américain moyen cherche des standards hôteliers que Cuba n’offre pas en ce moment et n’est pas non plus à la veille d’offrir. » 

Des observateurs s’attendent tout de même à ce que le visage de Cuba se transforme. C’est le cas de Serge Raffy, journaliste, auteur et rédacteur en chef de L’Obs, qui estime tout à fait probable que l’on voie pousser des McDo à La Havane. « La société cubaine est déjà tournée vers les États-Unis. Les jeunes sont déjà McDo, ils sont Nike, ils n’attendent que ça depuis 20 ans ! »

Citée dans un autre article du quotidien The Guardian, Liddy Pleasants, fondatrice de l’agence britannique Stubborn Mule Travel, affirme avoir observé une hausse de 80 % de la demande pour Cuba : « On sent vraiment que tout le monde veut y aller avant que ça ne change trop – pas seulement avant que les Américains ne débarquent, mais aussi parce qu’il y aura un soudain afflux de biens importés qui risquent de remplacer tous ces adorables objets des années 50 et 60 que les Cubains utilisent toujours. »

Mais, encore là, Paul Arseneault relativise : « Le développement touristique de Cuba a été très important dans les dernières années, mais il s’est fait par des chaînes espagnoles en coentreprise avec le gouvernement, qui conserve 51 % de la propriété des établissements. En ce moment, les Chinois sont très actifs, ils investissent dans les infrastructures, les autobus, etc. Mais si le tourisme devait croître à ce point dans les Caraïbes, on l’aurait constaté ailleurs, comme en République dominicaine. Or, ce n’est pas le cas, mis à part quelques exceptions, comme Providenciales, dans les îles Turks et Caicos. » 

De son côté, Debbie Cabana, responsable des relations médias à Vacances Transat, croit que la levée complète de l’embargo pourrait entraîner des difficultés de réservation. « Cuba a longtemps été une destination de dernière minute. Maintenant, les gens doivent réserver de plus en plus tôt, surtout s’ils tiennent à un hôtel en particulier. On note aussi une augmentation de la demande pour les vols secs [sans forfait] vers La Havane, une destination tendance intéressante pour qui veut autre chose qu’un tout-inclus. Quant aux tarifs, comme nous avons augmenté la capacité de nos vols, tout est assez stable jusqu’ici. »

Danièle Frappier, directrice des ventes de l’agence Caribe Sol, spécialisée dans les voyages à Cuba, n’a pas observé pour l’instant de hausse marquée de la demande, non plus que des tarifs. « Nos clients sont essentiellement québécois et canadiens, Cuba est pour eux une destination depuis longtemps, ils ne voient pas de raison de se précipiter. »

Se précipiter, donc ? Peut-être pas. Mais en profiter tandis qu’il en est temps, certainement !

* Source : « Les Québécois, plus sorteux qu’avant », Claudine Barry, Réseau de veille en tourisme de la chaire Transat de l’UQAM, 16 mars 2015

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