Ski de fond
Un effet Alex Harvey ?
La Presse
Quelques jours avant de devenir champion mondial à Oslo, en 2011, Alex Harvey soulignait que le ski de fond traînait encore une image passéiste au Québec. « Chez nous, c’est notre grand-mère qui fait du ski de fond ! », avait-il lancé.
Cette boutade cachait un fond de vérité. L’entraîneur Gilles Lefebvre en sait quelque chose. À ses débuts au club du parc du Mont-Orford, il y a une quinzaine d’années, il avait décidé de prendre le taureau par les cornes en se rendant dans les cours d’école, des skis et des bâtons sous les bras. Pendant quatre ou cinq hivers, il a initié des douzaines d’écoliers du deuxième cycle dans l’espoir de les recruter plus tard.
« Je me suis dit : avec ça, tu vas en avoir des jeunes qui vont venir en ski. Eh bien, pas pantoute ! », se souvient Lefebvre. Son explication : les enfants qui avaient aimé leur expérience rencontraient de la résistance à leur retour à la maison. « Tu as le parent qui dit : “Hein, le ski de fond, es-tu malade, toi ? C’est un sport… de vieux !” »
Les succès de Harvey sur la scène internationale ont contribué à dépoussiérer ce mythe. Impossible d’établir une corrélation précise, mais les inscriptions dans les programmes d’initiation et d’apprentissage technique ont connu une progression annuelle de 10 % depuis 2010, selon Ski de fond Québec.
Cette année-là, Harvey participait à ses premiers Jeux olympiques à Vancouver. « On a commencé à montrer du ski de fond à la télévision, relève la directrice générale de la fédération, Sylvie Halou. Tout à coup, la demande a monté en flèche. » La présentation d’une Coupe du monde au centre-ville de Québec, en décembre 2012, a eu le même effet.
Selon la directrice générale, l’effet Alex Harvey s’est surtout fait sentir dans les régions où il existait déjà une culture du ski de fond, comme à Québec et dans les Laurentides. La présentation d’une étape du premier Tour de ski canadien sur le mont Royal, en mars 2016, contribuera à développer cette culture dans la région montréalaise, espère la fédération.
Depuis cinq ans, le nombre de membres au club Fondeurs-Laurentides de Saint-Jérôme, le plus important de la province, a presque doublé, pour passer à environ 600.
Alex Harvey n’est pas étranger à cet essor, croit l’entraîneur-chef du club. « C’est très difficile à évaluer directement, mais c’est sûr que ça n’a pas nui », juge Rémi Brière. Aujourd’hui, son principal défi est de gérer la croissance : « Il faut s’assurer que nos entraîneurs soient formés et en nombre suffisant pour répondre à la demande. »
En revanche, cet engouement ne trouve pas écho dans le volet compétitif. Ski de fond Québec compte sur un bassin d’environ 800 licenciés, toutes catégories confondues, incluant les maîtres. « Ça n’évolue pas beaucoup », admet M
Halou. La « pyramide s’effrite » rapidement, en particulier chez les femmes, qui n’ont plus de modèles comme Beckie Scott ou Sara Renner, dit-elle.Le sport est « dur à vendre » auprès des jeunes, constate l’entraîneur Gilles Lefebvre, du Mont-Orford. « Ça demande tellement d’engagement au niveau de l’entraînement. C’est un sport hivernal, extérieur, toutes des choses un peu moins attirantes. » Les coûts et la multiplicité de l’offre sportive dans les régions urbaines complexifient le recrutement, ajoute-t-il.
Au Club Nordique Mont-Sainte-Anne (CNMSA), la rétention est une préoccupation. Depuis trois ans, le club est en pleine expansion. Même si elle est difficile à quantifier, l’influence d’Alex Harvey est indéniable, constate le président Michel Grenier. Le « professionnalisme », la « gentillesse » et l’accessibilité du plus célèbre membre du CNMSA en font un promoteur hors pair.
N’empêche, le CNMSA ne compte qu’une quarantaine de compétiteurs âgés de 10 à 18 ans. « On constate qu’on les envoie peut-être trop vite vers les compétitions », soulève M. Grenier.
Voilà pourquoi, l’an prochain, le club veut implanter le programme récréatif PISTE, une initiative visant à maintenir les jeunes dans le sport. « Ça permet aux jeunes de s’amuser en gang sans s’orienter vers la compétition », résume le président. Il ne sera jamais trop tard pour enfiler un dossard.
L’impact indéniable de Harvey est d’avoir démontré qu’un fondeur québécois pouvait réussir, ont noté tous les intervenants interrogés. « Comme entraîneurs, on utilise ce nom-là quand on a des jeunes de 11, 12 ou 13 ans, note Rémi Brière, de Fondeurs-Laurentides. Parce qu’il est maintenant possible d’y croire, de dire : “Je vais avoir une belle carrière internationale”. »