Personnes handicapées

L’entraînement sans limites

Dans un local au fond du centre d’entraînement Progym, à Montréal, Paul Wright accueille Karianne chaleureusement. La jeune femme fera des poids et plusieurs séries d’exercices, comme tous les autres clients. À une différence près : Karianne souffre d’une déficience grave.

« Good job, Karianne ! Descends-le, Karianne… Nice ! On a fini ! Tape la main ? » Paul Wright félicite chaleureusement sa protégée, après une série de musculation réalisée avec brio. Le visage de la jeune femme, jusque-là plutôt fermé, s’illumine tout d’un coup. Elle lève la main vers son entraîneur, qui lui répète : « Good job ! »

Une séquence toute simple, mais un défi pour Karianne. Pour une raison encore inconnue, la jeune femme de 25 ans est née avec une déficience. Recroquevillée, le menton baissé, elle doit souvent entendre la même consigne quelques fois avant de s’exécuter… à son rythme. « Je dois être patient. Très patient », lance l’entraîneur entre deux exercices. Lors de notre passage, il a placé un poids dans la paume de Karianne, et attendu une trentaine de secondes avant qu’elle referme sa main.

Qu’à cela ne tienne : Paul accepte de prendre son temps. De répéter les consignes sur la bonne posture à prendre pour soulever un poids.

C’est d’ailleurs lui qui a pris contact avec les parents de Karianne pour devenir son entraîneur. Constatant que la jeune femme attendait ses parents dans la cafétéria pendant qu’ils s’entraînaient, Paul Wright est allé à la rencontre de la famille :  il souhaitait permettre à la jeune femme de se tenir en forme, elle aussi.

Collaborateur de l’organisme ADAMA (Association de développement des arts martiaux adaptés), l’entraîneur certifié souhaite ouvrir ses horizons. Concevoir des programmes pour le grand public, oui, mais pas question de laisser quiconque de côté : il accueille dans son gym une clientèle avec un handicap physique, une déficience, de l’autisme…

« Je ne veux laisser tomber personne, explique celui qui a été élu Monsieur Montréal en 1995 et a travaillé à l’entraînement de différents corps de police. Ça fait de moi une meilleure personne. Je suis plus à l’écoute, maintenant. »

Après un an de rendez-vous hebdomadaires avec son entraîneur personnel, Karianne fait des progrès. « On aime amener Karianne avec nous partout. On avait par contre remarqué que c’était devenu plus difficile pour elle de suivre. Elle était de moins en moins en forme, raconte sa mère, Céline Ferland. Aujourd’hui, ça va mieux ! Elle peut même transporter un petit sac, ce qu’elle refusait de faire. Ce n’est pas rien. »

Avant ses 21 ans, Karianne avait droit à plusieurs heures d’exercices adaptés à sa condition à l’école qu’elle fréquentait. Puis, plus rien. Sportifs assidus, ses parents s’inquiétaient de voir leur fille perdre tout ce qu’elle avait acquis au fil des années. Malgré sa joie de voir un entraîneur lui proposer ses services, la mère le suivait à la trace les premières séances.

« Je ne le connaissais pas trop, et je me demandais ce qu’il allait faire ! lance Mme Ferland en riant. Ce qui est bien, c’est qu’il ne les voit pas, les limites. Ou s’il les voit, il fait avec ! »

Pas question pour Paul de se cacher dans un coin avec sa protégée. Bien qu’elle soit différente et qu’elle s’exécute lentement, il l’amène partout avec lui. « Je le sens qu’en dedans, elle est contente », souffle-t-il, ému.

« Ça fait du bien à mon cœur de mère, de voir que quelqu’un s’intéresse à ma fille, ajoute Mme Ferland. Il veut vraiment lui apporter quelque chose de bien. »

Boxe adaptée

Depuis un an, Paul Wright entraîne aussi Francis Vallée. L’homme de 26 ans est né avec une paralysie cérébrale. Il arrive à bouger ses jambes, mais il doit tout de même se déplacer en fauteuil roulant. Actif depuis l’enfance, il joue au basketball en fauteuil aux niveaux AA et AAA à Montréal.

Pour garder la forme, il a contacté Paul Wright… qui lui a proposé d’ajouter la boxe à son programme. La boxe en fauteuil ? « Ben oui ! Et ça peut être très intense ! Il n’y a rien qu’il ne peut pas faire », lance l’entraîneur.

Francis enchaîne effectivement les coups et esquive habilement les coups de son entraîneur. Avec une jambe, il pousse son fauteuil à droite et à gauche, afin de se placer dans une position favorable.

« Au niveau du cardio, ça m’aide tellement ! », lance le jeune homme après la démonstration. Paul souhaite maintenant lui trouver des partenaires d’entraînement avec des limitations semblables : des sportifs en fauteuil, mais dotés de bons muscles abdominaux – essentiels pour esquiver les coups – et d’au moins une jambe suffisamment mobile pour bouger le fauteuil. Dans un monde idéal, ce type de boxe pourrait se retrouver aux Jeux paralympiques, souhaite le duo.

Dans l’immédiat, Francis entraîne un groupe de jeunes basketteurs en fauteuil roulant. Son entraîneur en parle avec fierté. « Pour les gens qui ne font rien, quand ils voient Francis, ils se disent : “Comment ça se fait que je ne sois pas capable de me motiver, et que lui, dans un fauteuil, il soit capable ?” Get up and move ! »

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