Chronique

L’échange : l’an 1 a son vainqueur

En voyant les Predators de Nashville célébrer leur passage à la demi-finale de la Coupe Stanley, dimanche, ma première pensée a été pour Geoff Molson. Quelle a été sa réaction devant cette tournure des évènements, très embêtante pour son organisation à la suite de la transaction de juin dernier ?

Non seulement l’échange Shea Weber- P.K. Subban n’a pas permis au Canadien de franchir le premier tour des séries, mais il s’est transformé en élément significatif des succès des Predators ce printemps. Pour la première fois de leur histoire, ils atteignent le carré d’as des séries éliminatoires de la LNH.

Un coup d’œil aux statistiques du match n’a sûrement pas réconforté le président du CH. P.K. Subban a été le joueur le plus utilisé des deux équipes, étant sur la glace durant presque la moitié (27 min 19 s) de cette rencontre clé.

Depuis le début des séries, le jeu solide, efficace et inspiré de Subban fait l’unanimité. En obtenant ses services, David Poile, le DG des Predators, avait qualifié le numéro 76 de « défenseur moderne », taillé sur mesure pour la rapidité de la LNH d’aujourd’hui. Geoff Molson doit maintenant bien comprendre le sens de ce propos.

Les succès de Subban font éclater un mythe tenace voulant qu’il soit un joueur non fiable, trop souvent prêt à prendre des risques insensés dans l’espoir de briller devant les fans.

Au fil d’une longue saison, il lui est évidemment arrivé d’agir ainsi. Mais en séries, c’est autre chose. Il a toujours été un des meilleurs du Canadien lorsque la deuxième saison commençait. Rappelez-vous ses performances du printemps 2014, notamment son extraordinaire leadership contre les Bruins de Boston au deuxième tour... Mine de rien, Subban participera cette année à sa troisième demi-finale de la Coupe Stanley, une expérience que Weber, malgré sa brillante carrière, n’a jamais vécue.

À Nashville, Subban a trouvé ce qu’il n’a pas obtenu à Montréal : un directeur général et un entraîneur qui croient en lui. Marc Bergevin, rappelons-nous, l’a traîné en audition d’arbitrage salarial à l’été 2014, du rarement vu dans la LNH. Geoff Molson a dû intervenir pour régler l’affaire avant qu’elle ne dérape complètement. Mais ce genre d’exercice laisse toujours des traces.

Quant à Therrien, il a vite fait de Subban son bouc émissaire durant la désastreuse saison 2015-2016. L’ancien entraîneur du CH était sûrement très heureux de son départ et de l’arrivée de Shea Weber. Quelques mois plus tard, il était congédié.

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Quitter Montréal est malheureusement la meilleure chose qui soit arrivée à Subban. Impossible d’offrir de bonnes performances sans l’appui entier de ses patrons. Pourtant, si on peut tirer une conclusion des dernières semaines, c’est que Subban est un joueur « gérable » si la direction sait composer avec sa forte personnalité.

Voici ce que Subban a déclaré, en mars dernier, à propos de son nouvel entraîneur, Pete Laviolette : « La première chose qu’il m’a dite à mon arrivée dans l’équipe, c’est d’être moi-même, de ne pas changer. C’est tout ce que je voulais entendre. “Lavi” est dans la LNH depuis très longtemps, il a gagné une Coupe Stanley. Mais il possède cette capacité de s’ajuster et de comprendre les joueurs des générations différentes. »

En obtenant en retour de Subban un défenseur de renom mais de quatre ans son aîné, Bergevin a misé sur le court terme. L’été dernier, une analyse répandue voulait que le CH sorte gagnant de cette transaction au cours des prochaines saisons, avant que les Predators n’y trouvent leur compte dans quelques années. En somme, il se serait agi d’un marché gagnant-gagnant.

Moins d’un an plus tard, cette théorie se lézarde déjà. Les Predators ont assommé les Blackhawks de Chicago en quatre matchs et réglé le cas des Blues de St. Louis en six rencontres. Ils profiteront maintenant de quelques jours de repos avant d’affronter les vainqueurs de l’affrontement Anaheim-Edmonton, qui s’entredéchirent dans une spectaculaire confrontation de sept rencontres. Cela leur donnera un avantage évident.

Pendant ce temps, les lacunes du CH sont nombreuses, et Bergevin devra accomplir quelques tours de magie pour y remédier. Participer aux prochaines séries éliminatoires, notamment en raison de la montée en puissance de plusieurs adversaires directs du CH, s’annonce déjà comme un rude défi.

Ironiquement, Bergevin devrait s’inspirer de David Poile. En janvier 2016, conscient que son équipe manquait de punch en attaque, le DG des Predators a échangé un jeune défenseur prometteur, Seth Jones, aux Blue Jackets de Columbus, en retour du centre Ryan Johansen.

Celui-ci contribue de belle façon à l’éclosion des Predators. Voilà la preuve que oui, un « gros » échange pour obtenir un attaquant de premier plan est encore possible dans le hockey d’aujourd’hui, contrairement à ce que Bergevin laisse souvent entendre.

Avec une attaque capable de frapper vite et fort, un gardien qui a retrouvé tous ses moyens en Pekka Rinne et leurs quatre super défenseurs (Roman Josi, Ryan Ellis, Mattias Ekholm et Subban), les Predators ont le droit d’être optimistes pour la suite des choses.

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Shea Weber a obtenu du succès à sa première saison avec le CH. Et Bergevin est sûrement heureux qu’une belle harmonie ait régné toute la saison dans le vestiaire. Des joueurs du CH, après leur élimination contre les Rangers de New York, ont d’ailleurs rappelé à quel point la « chimie » avait été bonne cette saison.

Tout cela est très bien. Mais au bout du compte, dans la LNH, les séries éliminatoires donnent la véritable mesure des performances d’une équipe. Entre les Predators et le CH, deux organisations liées par l’immense échange de juin dernier, l’an 1 a déjà couronné son vainqueur.

Le Canadien devra vite rebondir pour écrire à son tour un chapitre enthousiasmant au printemps 2018. Sinon, Geoff Molson pourrait s’impatienter.

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