Un agresseur de bonne moralité

Bon, d’accord. Le gars a agressé une fille inconsciente. Et peut-être une autre, aussi, dans le temps. OK. Il a inséré ses doigts dans son vagin et a pris des photos de ses parties intimes. C’est pas bien, on s’entend, mais…

Mais il a fait ça vite !

Mais il était soûl !

Mais c’est une personne de bonne moralité !

Mais il a grandi dans une famille respectable, tissée serré !

Mais il ne pourra plus voyager, le pauvre, si on lui colle un casier judiciaire !

Tous ces arguments dépassés se retrouvent dans une décision récente et scandaleusement mauvaise du juge Matthieu Poliquin, fraîchement nommé à la Cour du Québec.

Dans sa grande magnanimité, le magistrat de Trois-Rivières a accordé une absolution à Simon Houle, un jeune ingénieur qui avait plaidé coupable à des accusations d’agression sexuelle et de voyeurisme à l’encontre d’une étudiante endormie.

La Couronne réclamait 18 mois de prison. Rien d’inhabituel pour un crime sexuel de cette nature. Mais pour le juge Poliquin, c’était trop sévère. Avec un casier, voyez-vous, Simon Houle pouvait dire adieu à son éventuelle carrière à l’étranger.

Les autres arguments avancés pour justifier l’absolution sont tout aussi choquants, tant ils minimisent le crime et ses impacts dévastateurs pour la victime. Celui-ci, par exemple : « Les gestes graves et criminels que [Simon Houle] a posés à l’égard de la victime sont contextuels et ponctuels dans sa vie. »

Autrement dit, Simon Houle est un homme en tout point convenable, sauf quand il agresse des femmes. Heureusement, ça n’arrive pas souvent.

Il a bien avoué à sa psy que ce n’était pas une première pour lui, mais cet aveu, estime le juge, démontre « son désir de transparence ».

Non, mais, quel chic type, tout de même.

Le juge Poliquin écrit plus loin que Simon Houle « a honte » et que son crime « ne représente pas la personne qu’il veut être ». D’ailleurs, « cela explique pourquoi son père et ses frères ne sont pas au courant des présentes accusations ». Et le désir de transparence, dans tout ça ? Pouf ! Disparu.

Matthieu Poliquin note que l’agression s’est déroulée « somme toute rapidement ». Ce serait donc moins grave quand ça va vite. Simon Houle a déshabillé sa victime, l’a agressée, a pris neuf photos. Mais bof ! Ça ne lui a pas pris de temps !

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Ce n’est pas tout. Eh non.

Parmi les facteurs atténuants retenus par le Tribunal, « le jeune âge de l’accusé lors de la commission de l’infraction, soit 27 ans. » Vingt-sept ans ! On commence sérieusement à s’éloigner de l’erreur de jeunesse…

Le Tribunal prend aussi en compte l’état d’ébriété de l’agresseur, ce qui ne constitue pas une justification, mais « peut permettre d’expliquer un comportement ». Notez la nuance, subtile.

La victime a été hospitalisée en psychiatrie. Elle a échoué à des cours à l’université. Elle a été en arrêt de travail. Pendant ce temps, Simon Houle, en liberté, terminait ses études et se trouvait un bon emploi. Mais à lire le jugement, on pourrait croire que c’est lui, la victime.

Selon le juge Poliquin, l’accusé « a toujours été un actif pour la société ». Traduction : ce n’est pas un BS, c’est un fils de bonne famille ! Il a travaillé fort pour en arriver là, n’allons pas tout gâcher avec une condamnation pour une vulgaire affaire de touche-pipi au cours d’une soirée arrosée…

« Certes, l’accusé n’a pas mené une vie parfaite. Par contre, le Tribunal considère qu’il a généralement démontré être une personne de bonne moralité. »

— Extrait de la décision du juge Matthieu Poliquin

Coudonc, ce jugement a-t-il été rendu en 1952 ?

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Le plus décourageant, c’est qu’il n’est pas l’œuvre d’un dinosaure comme Paul Braun, qui avait déclaré en 2017 qu’une jeune victime était grosse et avait probablement été flattée de recevoir l’attention de son agresseur.

Non, ce jugement-là a été rendu par Matthieu Poliquin, nommé juge par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette… en septembre 2021.

Ça rend la chose encore plus incompréhensible. Et ça montre à quel point la création d’un tribunal spécialisé en violences sexuelles et conjugales, où les juges recevront une formation continue en ces matières, est essentielle. Même en 2022.

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« Le Tribunal est d’avis que le public ne perdrait pas confiance dans la crédibilité du système judiciaire si l’accusé est absous », écrit Matthieu Poliquin dans sa décision.

Difficile d’être plus dans le champ que ça.

Difficile de miner autant, en une seule décision, la confiance déjà trop fragile des victimes de violences sexuelles envers le système judiciaire.

Au cabinet du ministre Jolin-Barrette, on dit comprendre « le désarroi et la frustration » des victimes. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales a confirmé son intention de porter la décision en appel. Manifestement, le juge Poliquin a erré. Et pas à peu près.

En 2022, une décision pareille ne passe plus. Pas après tout ce que la société québécoise a traversé : #moiaussi, les dénonciations, la prise de conscience collective.

Dans sa décision, Matthieu Poliquin admet que plusieurs victimes se sentent abandonnées par le système judiciaire. Il admet qu’un juge doit « être conscient de son environnement social ». Cela dit, écrit-il, le Tribunal doit être « guidé par la règle de droit et non par la clameur publique ».

En tout respect, Votre Seigneurie : avoir un peu de jugement, pour un juge, ça ne peut pas faire de tort non plus.

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