Sommeil

De la mélatonine pour les enfants ?

L’augmentation des prescriptions de mélatonine destinées aux moins de 18 ans soulève des questions en Angleterre, où on s’interroge sur son efficacité et son impact sur le développement des enfants. Donner ce produit pour aider nos jeunes à s’endormir est-il une bonne idée ?

Il y a un « flou » au sujet de l’utilisation de la mélatonine au Québec, convient Roger Godbout, directeur du Laboratoire et de la Clinique du sommeil de l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies. « On ne sait pas [quelle est son utilisation] parce que ce n’est pas un produit qui est vendu sous prescription, dit-il. Il est difficile d’avoir des chiffres.»

Les informations à ce sujet sont « anecdotiques », confirme Charles M. Morin, professeur à l’École de psychologie de l’Université Laval et auteur du livre Vaincre les ennemis du sommeil. « Des médecins nous disent recommander la mélatonine, mais ce n’est certainement pas parce qu’il y a des études cliniques probantes pour appuyer de telles pratiques, dit-il. Je pense que c’est plus par défaut… »

Santé Canada désigne la mélatonine, en vente libre au pays, comme un produit de santé naturel destiné aux adultes. En Angleterre, où elle nécessite une ordonnance, cette hormone est aussi censée être réservée aux 55 ans et plus. Le quotidien anglais The Guardian a toutefois constaté une hausse des prescriptions aux moins de 18 ans. En plus de mettre au jour une « crise de l’insomnie » chez les jeunes, cette consommation pourrait avoir des conséquences sur le développement de leur horloge biologique, selon des experts britanniques.

Peu efficace

Roger Godbout ne recommande pas aux parents de donner de la mélatonine à leur enfant sans consulter un médecin.

« La grande majorité des gens qui prennent de la mélatonine la prennent mal. Ce n’est pas un somnifère. »

— Roger Godbout, directeur du Laboratoire et de la Clinique du sommeil de l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies

Et, prise seule, cette hormone « ne fonctionne pas très bien », ajoute le spécialiste du sommeil, aussi professeur au département de psychiatrie de l’Université de Montréal. « On a beau dire qu’il n’y pas d’effets indésirables, s’il n’y a pas d’effets cliniques, ça sert à quoi d’utiliser ce médicament ? », renchérit Charles M. Morin.

La mélatonine est une hormone que l’être humain sécrète naturellement pour dire au cerveau que la nuit s’en vient et qu’il faut se préparer à dormir. Plutôt que de nuire à l’horloge biologique, comme le signale un expert britannique, elle peut l’appuyer, selon Roger Godbout. « On en donne justement quand on soupçonne que le signal donné par l’horloge interne n’est pas assez fort, pas assez clair, pas au bon moment », précise-t-il. Ce coup de pouce serait particulièrement le bienvenu chez les enfants autistes ou aux prises avec un TDAH.

Avant d’en arriver là, il faut toutefois consulter un médecin, insiste Roger Godbout. En matière de sommeil, les interventions visant à changer les comportements et les pensées sont plus efficaces que les comprimés. Il faut aussi sonder notre enfant : vit-il un stress particulier à l’école ou à la maison ? L’organisation de son quotidien et sa routine de soirée favorisent-elles l’apaisement ? « Un enfant anxieux, si on lui donne de la mélatonine, il va être anxieux quand même. Ça ne changera rien », fait-il valoir.

Même si, a priori, la mélatonine ne semble pas dangereuse, Charles  M. Morin estime qu’il faut être préoccupé par l’utilisation de n’importe quelle forme de médication par les enfants et les adolescents, en particulier pendant une longue période.

« La mélatonine, on en produit naturellement. Si on en donne sous forme synthétique, quel impact cela aura-t-il sur la production naturelle ? On ne le sait pas. »

— Charles M. Morin, professeur à l’École de psychologie de l’Université Laval et auteur du livre Vaincre les ennemis du sommeil

Ce spécialiste du sommeil ne veut toutefois pas rejeter le blâme sur les médecins ni sur les parents qui sont mal pris avec des enfants qui ne dorment pas. « Il faut faire un travail auprès des parents. Et s’il s’agit d’ados, ajoute-t-il, il faut faire de la gestion de comportement et d’habitudes, leur faire mettre de côté les écrans autour de l’heure du coucher. » Et il faut plus de recherches sur les enfants et les adolescents, selon lui. « On est un peu dans le néant. »

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