Santé dentaire

« La carie, c’est loin d’être banal »

En 2015, 5700 enfants au Québec ont dû subir une anesthésie générale à l’hôpital ou en clinique spécialisée en raison d’une réparation dentaire si importante qu’elle ne pouvait se faire dans un cabinet ordinaire de dentiste. Alors que la carie dentaire de la petite enfance est particulièrement fulgurante, le temps d’attente moyen pour une telle intervention dépasse aujourd’hui les neuf mois dans les hôpitaux montréalais.

« La carie, c’est loin d’être banal, dit la Dre Marie-Ève Asselin, chef du département de médecine dentaire au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. On voit de nombreux enfants atteints de cellulites faciales que l’on doit traiter avec des antibiotiques et qui doivent souvent être hospitalisés plusieurs jours. »

Les caries peuvent aussi dégénérer en abcès cérébral, voire causer la mort, ajoute-t-elle, évoquant le cas du jeune Américain Deamonte Driver, mort en 2007 d’une infection consécutive à une carie.

« La carie de la petite enfance est extrêmement agressive : très rapidement, en quelques mois, un enfant peut se retrouver avec 10 à 20 caries dans la bouche. »

— La Dre Marie-Ève Asselin, chef du département de médecine dentaire au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine

Le temps en salle d’opération est limité, en matière dentaire comme pour d’autres problèmes de santé, et les dentistes pédiatriques, trop peu nombreux. Dans tout le Québec, on n’en compte que 58.

Résultat : les listes d’attente sont longues, même dans un hôpital comme Sainte-Justine, où l’on ne traite que les enfants ayant déjà un problème médical et qui sont, en partant, particulièrement vulnérables.

« Nous sommes débordés, admet la Dre Asselin. L’attente varie de 9 à 12 mois. »

Mais si la carie de la petite enfance est particulièrement fulgurante, cela signifie que pendant cette attente, l’état de l’enfant se dégrade ? « On priorise les cas les plus urgents, mais oui, pendant ce temps-là, les caries progressent. »

À l’Hôpital de Montréal pour enfants, la situation est la même. « Ma liste d’attente est de 11 mois à 1 an et pas un jour ne passe sans que je voie un enfant avec un abcès qu’il faut traiter avec des antibiotiques », dit la Dre Annie Marleau, chef du département de chirurgie pédiatrique.

Une vocation trop peu choisie

Il faudrait davantage de dentistes pour enfants, dit-elle, mais ça ne se bouscule pas au portillon. « Il y a davantage de dentistes qui ont peur des enfants que l’inverse ! », lance-t-elle.

Être dentiste pédiatrique, ce n’est pas la discipline la plus sexy pour un dentiste fraîchement diplômé, fait-elle observer. Soigner des enfants, elle adore cela, mais c’est une vocation. Ça demande plus de temps, et « comme un certain nombre de soins pour enfants sont couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec, c’est moins lucratif pour les dentistes ».

Il y a donc peu de dentistes pédiatriques, « et quand je parle à des parents de l’importance d’amener son enfant chez un dentiste avant son premier anniversaire, on me répond souvent que leur dentiste généraliste ne prend pas d’enfant de moins de 3 ans ».

Ce qui est frustrant, poursuit la Dre Marleau, c’est que la carie « est une maladie qui peut être évitée ». 

« Nous, les dentistes, de même que les autorités en santé publique, on devrait faire plus de sensibilisation. »

— La Dre Annie Marleau, chef du département de chirurgie pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants 

« Ça fait 25 ans que je pratique. La carie a reculé pour les autres groupes d’âge, mais pas pour les enfants de 0 à 5 ans. Il est surprenant de voir à quel point les parents ne sont pas tellement mieux informés de nos jours », ajoute la Dre Marleau.

Des parents trop permissifs

Dentistes et hygiénistes dentaires s’assurent d’être diplomates. Les parents arrivent déjà dans leurs cabinets la tête basse. Inutile de les culpabiliser davantage.

N’empêche, Marie-Josée Pilon, qui pratique en cabinet privé et qui fait une journée par mois à l’hôpital Sainte-Justine, observe que l’un des gros problèmes, « c’est que les parents achètent trop souvent la paix ».

« Oui, la génétique joue dans le développement des caries, certains ont naturellement la bouche plus acide que d’autres, note-t-elle. Mais la plupart du temps, la carie est liée à de mauvaises habitudes de vie. »

« Les parents ont peur que leurs enfants pleurent, alors ils laissent souvent tomber le brossage de dents. »

— La Dre Marie-Josée Pilon, dentiste pédiatrique

Tout en se disant pro-allaitement, la Dre Pilon fait observer qu’il faut néanmoins éviter « le bar open ». « Quand la mère donne le sein au bébé à volonté, à toute heure de la nuit, c’est problématique parce que ce que l’on oublie, c’est qu’il y a aussi du sucre dans le lait maternel. »

Quand le bébé a grandi et qu’il se réveille la nuit, « on peut se contenter de le bercer », note-t-elle.

Les dentistes et hygiénistes interrogées notent que les enfants qu’elles voient sont issus de toutes les couches de la société. « Les enfants défavorisés, immigrants ou de parents peu instruits sont peut-être plus à risque, mais les gens instruits ne savent souvent pas davantage comment bien brosser les dents d’un enfant », dit Marie-France Cartier, hygiéniste dentaire.

Le problème est loin d’être propre au Québec et au Canada. L’an dernier, rapporte le journal britannique The Guardian, 40 800 Anglais de moins de 18 ans ont dû se faire opérer à l’hôpital pour se faire extraire au moins une dent, la détérioration de leur état dentaire ne permettant pas de faire la procédure chez un dentiste, déplorent les autorités de santé publique de la Grande-Bretagne. Là-bas comme ici, le sucre et le manque de connaissances des parents sont évoqués.

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