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CHRONIQUE

L’illusion du succès

Pendant des décennies, on s’est beaucoup servi du taux d’activité féminin comme mesure du progrès des femmes dans la sphère économique. La proportion de celles qui rejoignaient le marché du travail symbolisait la vitesse avec laquelle on s’affranchissait du modèle traditionnel où la place de la femme était à la maison et celle de l’homme au travail.

Les progrès de la participation des Québécoises au marché du travail sont tels que cette forme d’inégalité a presque disparu. Mais il y a un danger à interpréter ce succès de façon complaisante, d’y voir un signe des aptitudes intrinsèques de la société québécoise à être à l’avant-garde de la lutte des femmes. Le Québec n’est pas plus égalitaire qu’il n’est vert.

Du côté environnemental, le Québec émet moins de GES que ses voisins grâce au hasard géographique qui lui permet de produire de l’électricité propre.

Du côté des femmes, l’illusion du succès tient au fait qu’on interprète comme des progrès ce qui a surtout été du rattrapage. Ce qui est exceptionnel, ce n’est pas notre point d’arrivée, mais plutôt notre point de départ.

Il est vrai que le Québec a fait des bonds de géant. En 1976, le taux d’activité féminin était de 41,4 % ; quatre femmes sur dix étaient sur le marché du travail. En 2016, 40 ans plus tard, ce taux était passé à 60,7 %.

Cela ne fait pas du Québec un modèle. Avec 60,7 %, il est encore en dessous de la moyenne canadienne, loin d’une province comme l’Alberta où il atteint 66,3 %. En fait, le Québec se retrouve au 5e rang des provinces. Quatre ans plus tôt, avant le choc pétrolier, il était même au 7e rang.

Comment concilier l’image qu’on se fait de nos progrès et ce résultat qui n’est pas exceptionnel ? D’abord parce que ce bond a surtout permis de combler les retards économiques et sociaux du Québec. Ses taux d’activité féminins d’il y a 40 ans étaient proches de ceux de provinces pauvres, comme la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Le Québec a donc pris les bouchées doubles. Avec pour résultat qu’il n’est pas exceptionnel, il est tout simplement normal. Car le succès a été remarquable partout au Canada.

À cela s’ajoute un autre facteur. Le Québec traîne encore des traces de son passé. Chez les femmes plus âgées, celles qui ont 55 ans et plus, le taux d’activité féminin reste le plus bas au Canada, à l’exception de Terre-Neuve. C’est également vrai pour les femmes de 45 ans et plus.

Par contre, chez les femmes plus jeunes, les 25-44 ans, alors que la contrainte des enfants pèse le plus, le Québec se distingue. Le taux de participation de 48,4 % en 1976 a grimpé à 86,0 % en 2016, de loin le taux le plus élevé au Canada. C’est en quelque sorte comme si le Québec était coupé en deux.

On a eu tendance à expliquer ce progrès important par le développement des garderies subventionnées. Cela ne semble pas être le cas. Tout d’abord parce que la véritable explosion a eu lieu avant. Entre 1977 et 1997, les 20 années avant la création des CPE, le taux d’activité des femmes de 25 à 44 ans a grimpé de 48,6 %. Entre 1997 et 2007, la première décennie du régime des garderies, il n’avait augmenté que de 8,9 %.

L’image que les CPE ont eu un effet énorme tient aussi aux comparaisons avec l’Ontario, qui n’a pas de tel régime et où le taux d’activité des jeunes femmes a augmenté moins rapidement. Mais le raisonnement s’effondre quand on regarde ce qui s’est passé avec l’autre province voisine, le Nouveau-Brunswick, où le taux d’activité de 74,4 % en 1997 était plus bas que celui du Québec, mais qui a pourtant réussi à rattraper le Québec en 2007, même s’il n’y avait pas de régime de service de garde.

Nous sommes maintenant rendus à un stade où le taux de participation des femmes semble avoir atteint un plafond, aux alentours de 86 % à 88 % de celui des hommes, essentiellement parce que rester à la maison, surtout pour les enfants, reste le choix d’une certaine proportion des femmes.

Mais l’évolution des taux de participation nous dit autre chose.

Après un choc initial pour briser les résistances, les progrès des 40 dernières années semblent moins avoir été le fruit d’un combat que ceux d’un processus naturel.

La demande des entreprises, la croissance du secteur public, l’explosion du secteur des services, les besoins financiers des familles, les cycles économiques et, maintenant, la rareté de la main-d’œuvre ont fait le reste.

Il y a donc un danger à miser sur ce succès relativement facile pour affronter les autres défis où les résistances sont beaucoup plus grandes, comme l’accès des femmes à des métiers traditionnellement masculins, les écarts salariaux entre hommes et femmes et la présence des femmes dans les postes de direction.

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