Les petites victoires

L'amour d'un père

Établir un contact visuel avec son fils, réussir à lui faire une étreinte sans être repoussé, le voir se calmer par lui-même à la suite d’une crise, voilà quelques-unes des « petites victoires » qu’Yvon Roy décrit avec une infinie tendresse dans la bédé qu’il vient de lancer cette semaine.

Dès son plus jeune âge, Olivier (son nom fictif) a été entouré de spécialistes (ergothérapeute, orthophoniste, neuropsychologue) qui l’ont aidé à cheminer, mais son père a pris d’énormes libertés pour aider son fils.

« Les gens appliquent une procédure d’intervention qui est générique, mais les parents doivent explorer d’autres avenues, c’est eux qui connaissent le mieux leur enfant ! », nous dit le bédéiste qui a mis tout son temps et sa créativité au service d’Olivier.

Au lieu d’enlever les poussières qui flottaient dans son bain (et qui provoquaient des crises), il en a rajouté jusqu’à le désensibiliser ; au lieu de s’en tenir à un discours concret (étant donné la difficulté des enfants autistes d’assimiler des concepts abstraits), il lui a raconté des histoires invraisemblables ; au lieu de faciliter ses routines, il changeait la disposition des meubles pendant la nuit !

PROVOQUER LES CHOSES

« Il y a des gens qui pensent qu’il faut respecter l’état des enfants autistes, mais à un moment donné, il faut faire quelque chose pour les aider à s’en sortir, croit Yvon Roy. À force de les respecter, on ne fait rien ! Parfois, il faut aller au front. Moi, j’ai fait beaucoup d’enseignement par le sport, j’ai beaucoup travaillé avec lui, mais il a fallu que j’entre en contact avec lui. »

Pour établir ce contact, Yvon Roy a inventé un jeu. Dès que son fils le regardait brièvement, il s’approchait de lui. Dès que ses yeux fuyaient, il s’éloignait. Petit à petit, le petit Olivier a compris qu’il fallait regarder son père pour avoir son attention. « Je me disais que s’il n’y avait pas de contacts visuels, il n’y avait pas de contact tout court, donc pas d’échange et d’enseignement possibles. »

Comment se fait-il que personne n’ait pensé à ça avant ? « Je crois que les spécialistes sont bousculés entre les différentes écoles de pensées, répond-il. Il y en a qui pensent qu’il ne faut pas brusquer l’enfant, que ça peut juste le perturber. Mais il est déjà lourdement taxé ! Il faut prendre des chances. On vit aussi une époque où on craint les poursuites, on craint les reproches. Les parents sont très inquisiteurs. Il y a une peur d’innover... »

Même si Olivier était suivi de près par des spécialistes, est-ce que ses méthodes les ont choqués ? « Jamais. Il y a même une intervenante qui est venue à la maison pour noter tous les trucs que j’utilisais, parce qu’il y a encore beaucoup à apprendre. La description de l’autisme est très vague face à toute la diversité. Deux intervenantes ont essayé quelques-uns de mes trucs dans un centre à Laval et je me souviens d’un appel où l’une d’elles me disait : Yvon, ça fonctionne avec tous les enfants ! »

« Le côté ludique vient souvent des pères, le côté tendresse de la mère, remarque Yvon Roy. Souvent, on ne parlait qu’à sa mère, comme si j’étais transparent. Donc, ce livre s’adresse beaucoup aux pères. Il faut qu’ils s’imposent, qu’ils s’investissent, qu’ils explorent et qu’ils essaient des trucs. »

OIivier a fait la transition vers une école normale au primaire. Aujourd’hui âgé de 12 ans, il fréquente une école secondaire. « Il écrit un français presque sans faute, alors qu’on nous disait qu’il pourrait ne jamais pouvoir lire ou écrire. Donc, oui, ça donne beaucoup d’espoir. »

La bédé, c’est la santé

Deux nouvelles bédés abordent de brillante manière des sujets de santé complexes. Dans Les petites victoires, Yvon Roy décrit les astuces qui ont permis à son fils autiste de progresser ; tandis que dans Goupil ou face,  la Française Lou Lubie aborde de front son trouble de l’humeur. Nous avons parlé aux deux auteurs.

Goupil ou face 

Apprendre à se connaître pour maîtriser ses émotions

Lou Lubie, c’est son nom. La dessinatrice française de 26 ans a mis sept ans avant d’avoir un diagnostic clair qui pouvait expliquer ses brusques changements d’humeur.

Après de nombreuses consultations, le verdict est tombé : Mme Lubie, vous souffrez de cyclothymie (du grec : humeur circulaire). Un trouble de l’humeur qui fait partie de la famille des maladies bipolaires.

« Le jour où on m’a dit ça, j’ai lu beaucoup d’ouvrages scientifiques un peu austères qui m’ont confirmé que c’est bien ce que j’avais. En fait, je trouvais cette pathologie tellement passionnante que j’ai eu envie de partager mon expérience. Avec humour, bien sûr. Ça n’a jamais été thérapeutique, insiste-t-elle. J’ai abordé beaucoup d’aspects de la maladie, mais je ne me suis pas complètement révélée non plus. »

Est-ce qu’il y a un avant et un après Goupil ou face ? Qu’est-ce que cet exercice pédagogique lui a apporté, au bout du compte ?

« Comme tout le monde le sait maintenant, j’ai moins de mal à l’assumer, répond-elle. Je me sens plus moi-même en fait. Et puis, j’ai reçu tellement de commentaires de gens qui souffrent du même trouble que je me suis sentie moins seule. Comprendre et accepter cette maladie, ça aide énormément à se déculpabiliser et à mieux cibler ses stratégies d’interventions. »

L’image du goupil, ce petit renard intérieur qui sommeille en elle et qui agit sur son humeur, ses pensées et son énergie, vient d’elle.

« Je cherchais à représenter cette petite bête intérieure qui est souple, agile et insaisissable. Parce que la cyclothymie, c’est une forme d’instabilité permanente. Visuellement, c’était aussi très intéressant à dessiner. C’est mignon, c’est à la mode, mais en même temps, c’est un animal sauvage, qui reflète bien l’ambivalence de la maladie. »

Changements d’humeur extrêmement rapides

Contrairement aux personnes qui souffrent de bipolarité de type 1 ou 2, les personnes atteintes de cyclothymie vivent des changements d’humeur extrêmement rapides, qui peuvent se produire dans la même journée. « Ça m’est arrivé d’avoir une crise de rire et de pleurs dans un intervalle très court », confie Lou Lubie, qui espère aussi voir s’adoucir le regard des autres sur les personnes bipolaires.

Comment combattre ses envies d’excès et de nouveauté qui assaillent les cyclothymiques ?

« C’est une question de maîtrise de soi, croit Lou Lubie. La connaissance de soi nous aide à nous contrôler. À prendre le temps avant de prendre des décisions, sachant qu’on peut avoir des “high” qui vont nous amener à tout mettre de côté pour se lancer dans quelque chose. Notre entourage aussi, bien renseigné, peut nous aider à passer à travers nos hauts et nos bas. »

Lou Lubie a finalement pu stabiliser son humeur grâce à une faible dose de lithium. On apprend que 6 % de la population souffrirait de cyclothymie. « Ça me fournit une base de stabilité, mais après, c’est à moi de trouver un équilibre dans ma vie, estime-t-elle. Mais oui, c’est quand même un soulagement. Je n’ai pas fait de dépression depuis. Je dois dire que ça m’a beaucoup apaisée. »

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