Entrevue avec Gérald Tremblay

« Ça existe depuis

30 ans, il aurait fallu

que je sache tout ? »

Alors que la commission Charbonneau tire à sa fin, l’ancien maire de Montréal, Gérald Tremblay, s’est encore retrouvé sous le feu des projecteurs, cette semaine. Une source de la police prétend qu’il était au fait des liens de son parti avec la mafia. Et son nom revient dans un rapport du Bureau de l’inspecteur général de Montréal sur la vente d’un terrain du Vieux-Montréal. Joint par La Presse, Gérald Tremblay a accepté de revenir sur la face sombre de ses 11 années à la tête de la métropole.

« J’ai l’impression qu’on joue dans un film où ce sont les méchants qui gagnent. »

Gérald Tremblay réserve son jugement sur les travaux de la commission Charbonneau en attendant la publication de ses recommandations. Mais lors d’un entretien avec La Presse, cette semaine, il cachait difficilement sa soif de justice. Et il a répété qu’il avait la conscience en paix.

« Ça a pris une commission d’enquête, ça va faire presque 2 ans, pour dire que ça existe depuis 30 ans, martèle-t-il. Le seul responsable de ça, semble-t-il, c’est moi. […] Pierre Bourque [ex-maire de Montréal] n’était pas au courant. [Jean] Doré [ex-maire de Montréal] ne le savait pas lui non plus. Et moi, il aurait fallu que je sache tout ? »

« J’ai tout fait ce qui était possible, insiste Gérald Tremblay. Je faisais le ménage, j’appelais la police, puis les oppositions ont joué leur rôle, les médias, tout le monde est embarqué là-dedans. Finalement, on cherchait un responsable et je suis devenu ça. Bravo ! Si c’est ça, je vais vivre avec, mais j’ai la conscience en paix. »

Cette semaine, la publication du premier rapport du Bureau de l’inspecteur général (BIG), Denis Gallant, est venue illustrer parfaitement, selon M. Tremblay, ce qu’il a vécu durant ses années à la mairie. Le rapport révèle qu’un entrepreneur qui souhaitait acheter un terrain du Vieux-Montréal avait reçu une demande de pot-de-vin. Le BIG a transmis le dossier à l’UPAC et a demandé qu’on reprenne à zéro cette vente, qui traîne depuis neuf ans.

Gérald Tremblay se rappelle toute « la confusion, les contradictions, les incertitudes », qui ponctuaient l’étude de ce dossier par la Ville.

« Vous lisez le rapport de l’inspecteur général, et vous comprenez ce que j’ai vécu. Tout ce qui était autour de moi et en qui je pouvais avoir confiance ou pas. » — Gérald Tremblay

L’ex-maire dit s’être senti très seul à l’hôtel de ville à travers toutes les « tractations » dans son dos entre « fonctionnaires, hauts fonctionnaires et élus ». Malgré tout, il a dit non, déclare-t-il.

« Dans le doute, je m’abstiens », répète-t-il, en épluchant point par point le rapport d’une trentaine de pages de l’inspecteur général.

« Dans ce cas-ci, dit l’avocat de profession, j’avais toujours en tête ce qu’un individu m’avait dit lors d’une soirée, en 2005. Il m’avait dit : “On n’est pas à Laval ici.” Les fonctionnaires, [l’ancien directeur général] Louis Roquet en tête, me disaient que je n’avais pas le choix de vendre. Mais quand même, j’ai dit non. Je ne le sentais pas. Et là, ils vont prendre la décision que j’avais prise, de retourner en appel d’offres. Denis Coderre prend la bonne décision. »

Gérald Tremblay cite plusieurs autres contrats annulés, dont un avec Lino Zambito (l’un des propriétaires d’Infrabec) dans Saint-Laurent, et s’attarde sur celui sur la réfection de la toiture de l’hôtel de ville. Il se rappelle l’entrepreneur Paul Sauvé, qui avait alerté son directeur de cabinet pour dire qu’il était victime de menaces d’extorsions de la part de la mafia, des Hells Angels, afin de verser 40 000 $ à deux élus.

« Qu’est-ce que je fais ? J’appelle la police. Je l’assois, et je lui dis : “Raconte tout à la police.” Est-ce qu’on en a entendu parler ? Non. Par la suite, il est devenu un héros à la Commission, il a même écrit un livre. »

C’est « la seule fois que j’ai su quelque chose », insiste Gérald Tremblay, répliquant aux allégations d’une source de la police rendues publiques cette semaine selon lesquelles l’ex-maire savait que son parti partageait avec la mafia italienne une taxe d’extorsion prélevée sur les contrats de construction.

« Pensez-vous que si on m’avait informé… C’est tellement gros, 10 %, soit 5 % à la mafia et 5 % au parti Union Montréal ! J’ai même posé la question à la juge Charbonneau, à savoir si elle pouvait croire que l’argent ne s’est jamais rendu à Union Montréal, et elle s’est mise à rire. Alors je ne peux pas faire plus que ça », s’exclame-t-il.

RENVERSÉ PAR UN TÉMOIGNAGE

Gérald Tremblay a suivi la commission Charbonneau depuis le début. Le témoignage tant attendu de Tony Accurso l’a fait sursauter.

« Je n’en revenais pas quand j’ai vu Robert Abdallah [ex-directeur général de la Ville] dans la piscine avec Jean Lavallée [ex-président de la FTQ-Construction], avec Tony Accurso, avec toutes ces personnes. Je n’en revenais pas. C’est assez invraisemblable, la cupidité des gens. Pourtant, j’étais le seul maire qui a voulu investir dans les infrastructures, dans le réseau routier. Il y en avait pour tout le monde. Il faut croire qu’au niveau des profits, il n’y en avait pas assez. Ils en voulaient plus. »

Si Tony Accurso a financé la campagne de Benoit Labonté en 2009, c’est « parce que je dérangeais », lance Gérald Tremblay.

« J’étais en train de faire le ménage. Ils avaient perdu tous leurs alliés. Frank Zampino était parti en 2008, j’avais mis dehors Robert Abdallah, Bernard Trépanier [ex-collecteur de fonds d’Union Montréal], je l’ai mis dehors. J’ai mis tout le monde dehors, ils n’avaient plus d’alliés. Il s’est donc dit : “Il faut se débarrasser de Tremblay, il faut le remplacer par quelqu’un d’autre, c’est tout.” »

Sur le plan personnel, Gérald Tremblay confie que sa famille a payé un lourd tribut, que ç’a été pénible pour ses enfants, pour sa conjointe Suzanne. Il affirme même qu’il a eu de la difficulté à se faire assurer personnellement « parce que son nom est sorti à la commission Charbonneau ». « Je dois payer une surprime. »

Au fil de la discussion, il convient toutefois qu’il aurait pu « mieux communiquer, mieux expliquer. » « J’ai un style qui était peut-être plus réservé, un leadership tranquille, comme on dit. »

Et il ne nie pas sa responsabilité. « Je ne veux pas m’en laver les mains, au contraire, c’est moi qui suis responsable. J’ai nommé ces personnes-là. S’il y en a qui ont trahi ma confiance, tant pis, ils paieront le prix. »

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