Éditorial  Scientifiques fédéraux

Au nom de la science

Irrités par les interventions du gouvernement Harper, les scientifiques fédéraux ont concocté un répulsif inusité : des clauses à insérer dans leur convention collective. Reste à voir si le remède sera homologué.

Limitations, voire interdiction, des communications au sujet de leurs travaux, même lorsqu’ils sont publiés. Réduction de la qualité des données, notamment celle du recensement. Fermeture d’une dizaine de bibliothèques scientifiques, dont la seule en français à Pêches et Océans Canada. Modalités de financement qui désavantagent des domaines de recherche. La liste des doléances des scientifiques fédéraux s’étend d’un océan à l’autre.

Après des années à dénoncer des directives jugées contraires à l’intérêt de la science et du public, ils ont décidé de mettre un peu de pression sur Ottawa. Leur cahier de propositions en vue du renouvellement des conventions collectives comporte une section inédite.

Les syndiqués demandent que la moitié des revenus de propriété intellectuelles générés par leurs travaux soient réinvestis dans la recherche gouvernementale. Ils réclament le droit de s’exprimer sur des questions scientifiques. Et, surtout, ils veulent que les ministères s’engagent à respecter des normes d’intégrité scientifique, en adoptant une politique à cette fin. Cette politique, tout comme les clauses sur le financement de la recherche et le droit de parole, serait incluse dans la convention collective, au même titre que la rémunération et les autres conditions de travail.

La stratégie est habile. Si ces dispositions faisaient partie intégrante du contrat liant le gouvernement à ses scientifiques, celui-ci ne pourrait y contrevenir sans s’exposer à des griefs. Une manière de se protéger contre l’ingérence des élus.

Le seul fait d’avoir amené ce type de mesures à la table de négociation place déjà Ottawa dans une situation embarrassante. Comment être contre la vertu – c’est-à-dire, dans le cas présent, contre une recherche apolitique, bien financée et menée par des chercheurs indépendants et libres d’informer le public ? Si le gouvernement rejette ces demandes d’emblée en refusant d’en discuter, il aura l’air de se garder toute la marge de manœuvre nécessaire pour s’ingérer dans la recherche publique.

Cela dit, la négociation est encore jeune. L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada a présenté ces clauses la semaine dernière au nom du groupe SP (sciences appliquées et examens de brevet). Elles devraient figurer dans les propositions d’autres groupes représentés par le même syndicat, dont les fonctionnaires en recherche et les employés du Conseil national de recherches du Canada.

Ce sera donc à suivre. Nous ne doutons pas de la sincérité des scientifiques fédéraux. Par contre, il faudra voir si leur syndicat tient vraiment à ces clauses ou s’il les abandonnera en échange de gains plus traditionnels en matière de rémunération ou de conditions de travail.

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