Lecture

Le libraire du village

Après plus de 30 ans à la tête du Fureteur, le libraire de Saint-Lambert a pris sa retraite

Presque tous les matins, les habitants de son patelin le voyaient passer à vélo, son chapeau vissé sur la tête. Yves Guillet s’en allait travailler à la librairie Le Fureteur, SA librairie, à Saint-Lambert. Comme un personnage de film français, il était le libraire du village, connu de tous.

Natif de Saint-Lambert, ce fils de pharmacien a consacré sa vie aux livres et aux lecteurs. « J’ai commencé à fréquenter Le Fureteur de manière assidue quand j’étais étudiant en littérature, raconte l’homme de 60 ans qui a pris sa retraite en juin. La première année, nous avions 80 titres à lire, alors j’achetais beaucoup de livres. J’ai fait la connaissance d’une baronne belge qui travaillait à la librairie. Quand elle est tombée malade, on m’a proposé de la remplacer. Je ne suis jamais reparti. »

Yves Guillet n’avait que 29 ans lorsqu’il a décidé d’acquérir la librairie, fondée en 1963. Il avait trouvé sa vocation. Un couple d’amis plus âgés lui a donné le coup de pouce financier nécessaire. Beau clin d’œil du destin, c’est la fille de ce couple – Valérie, qui travaille au Fureteur depuis 20 ans – qui reprend le flambeau aujourd’hui en rachetant les parts de M. Guillet. La boucle est bouclée.

UN MÉTIER QUI CHANGE

Le monde des livres a bien changé depuis le jour où Yves Guillet est officiellement devenu libraire, au milieu des années 80. L’informatisation, la concentration des éditeurs et des librairies ont complètement bouleversé les façons de faire. Certaines librairies ont diversifié leurs activités et vendent désormais des marchandises qui n’ont plus grand-chose à voir avec la littérature. Les géants du web, eux, proposent de nous livrer le dernier best-seller (bientôt par drone !) en l’espace de 48 heures. Malgré cette féroce compétition, certaines librairies indépendantes comme Le Fureteur font le pari que la bonne vieille librairie, où on ne vend que des livres, a encore sa raison d’être.

« La loi Vaugeois a été salutaire pour nous, souligne Yves Guillet. Elle nous a assuré une santé financière. » Cet agrément oblige en effet les acheteurs institutionnels (bibliothèques municipales, écoles, ministères, etc.) à acheter leurs livres dans une librairie agrégée dans leur région administrative.

Le métier de libraire a peut-être changé mais son rôle, lui, est toujours le même. Être le conseiller privilégié des amoureux de la littérature. « Il faut être à l’écoute de notre clientèle, en adéquation avec elle, rappelle Yves Guillet. Ça signifie aller au-devant des lecteurs, deviner ce qu’ils auront envie de lire. »

« J’ai eu la chance d’avoir une clientèle extraordinaire, des gens instruits, informés, qui me demandaient des livres pas encore parus parce qu’ils en avaient entendu parler à la radio ou dans la presse. C’est précieux. » — Yves Guillet, libraire retraité

Sa librairie, il l’a voulue comme un carrefour, un lieu de rencontre, vivant et stimulant. Au fil des ans, il a d’ailleurs organisé plusieurs rencontres d’auteur, offrant à sa clientèle des moments d’échange privilégié avec leurs auteurs préférés, de Dany Laferrière à Delphine de Vigan en passant par Kim Thúy et Michel Rabagliati.

Le rôle de « curateur » est un autre aspect important du métier de libraire. « Le choix éditorial est fondamental, affirme Yves Guillet. C’est notre prérogative d’avoir une librairie à notre image, de choisir ce qu’on veut mettre de l’avant. »

Sa librairie compte environ 20 000 titres. Quand le titre désiré n’est pas sur les rayons, on offre de le commander. « Il faut être à l’écoute des demandes, mais il faut aussi venir au-devant des lecteurs, ajoute le libraire. C’est une question de métier. »

Rien de plus jouissif pour un libraire que de faire découvrir un auteur ou une maison d’édition à un client. Ça tombe bien car il y a une effervescence ces années-ci dans le milieu littéraire québécois, observe Yves Guillet. « Depuis une dizaine d’années, il y a plein de petits éditeurs qui sont apparus : Le Quartanier, Cheval d’août, Marchand de feuilles, Éditions de ta mère, etc. C’est intéressant comme phénomène. On sent qu’ils sont bien implantés, qu’ils rejoignent déjà un lectorat qui a une certaine importance. »

LA PASSION DE L’HISTOIRE

En plus de diriger son commerce, Yves Guillet a siégé cinq ans à titre de président du conseil d’administration de la Coopérative des librairies indépendantes du Québec.

« L’engagement a toujours été important pour moi », assure-t-il. Là aussi, les perspectives ont changé au cours des dernières années. « Quand je suis arrivé à ce poste, poursuit-il, l’horizon était incertain. C’était l’arrivée du livre électronique, on ne savait pas ce qui allait arriver. Aujourd’hui on assiste en quelque sorte à un retour du balancier. Il faut dire que nous avons un directeur général exceptionnel. Il y a des initiatives comme la Journée du livre québécois qui marchent super bien. Je suis vraiment content du travail accompli. »

Yves Guillet part donc le cœur léger. Au moment de notre rencontre, il se préparait à aller passer l’été à la campagne. Il pourra se consacrer à sa passion, l’histoire, lui qui siège depuis des années déjà à la Société d’histoire Mouillepied, à Saint-Lambert. Il a également des projets d’écriture auxquels il souhaite accorder plus de temps. Mais pour les gens de Saint-Lambert, il restera toujours le libraire du village.

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