Portfolio MBA

Ils sont bien connus dans le milieu culturel, mais ont aussi un secret bien gardé... Louise Richer et Serge Postigo sont titulaires d’un MBA. Témoignages.

De la gestion intuitive à la gestion éclairée

Louise Richer assurait la direction pédagogique et générale de l’École nationale de l’humour depuis plus d’un quart de siècle lorsqu’elle a décidé de s’inscrire à un MBA en 2014. Une expérience qui a transformé sa gestion jusque-là très intuitive de son organisation.

En 1988, lorsqu’elle a été nommée « directrice rouquine suprême » de la première école de l’humour au monde, Louise Richer n’avait pour ainsi dire aucune expérience en gestion. Défroquée d’études en psychologie, comédienne et impliquée depuis des années aux « Lundis Juste pour rire », elle s’est vu confier la création d’une école, dont la première cohorte comptait des élèves comme Jean-Marc Parent, François Massicotte et Daniel Thibault. « Je ne me suis pas demandé si j’étais une gestionnaire, j’ai plongé », dit-elle sans détour.

Puisque l’école était un programme financé par le gouvernement fédéral pour développer l’emploi, sous l’égide de Juste pour rire, les élèves étaient rémunérés. « On dort mieux le soir quand nos cobayes sont payés », lance la directrice en riant. En 1992, un programme académique a été reconnu par le ministère de l’Éducation et l’école est devenue indépendante.

Retour en classe

Plus de deux décennies plus tard, Louise Richer a découvert l’existence de l’« Executive MBA » de McGill-HEC Montréal, un programme de perfectionnement s’adressant aux professionnels comptant au moins dix ans d’expérience, dont au moins cinq à un poste de gestion. La directrice s’est lancée dans l’aventure. « J’ai une très forte pulsion d’apprendre et je gère un lieu d’apprentissage, alors je suis obsédée à l’idée de demeurer stimulée et stimulante. Si on n’apprend pas, on meurt ! J’avais besoin d’être déstabilisée, d’évoluer et j’étais consciente que j’avais encore des croûtes à manger en gestion, malgré tout ce que j’avais appris sur le tas. »

En s’informant davantage sur le programme, elle a été ravie de découvrir que tous les travaux de sa formation seraient en lien direct avec son organisation.

« On n’étudie pas des cas sans lien avec nos réalités. Les travaux ont une application concrète sur notre entreprise ou notre organisme. »

— Louise Richer

« Tu vas être rouillée… »

En théorie, le projet l’emballait, mais rien ne lui assurait de vivre avec aisance un retour en classe à 61 ans. Dans un groupe où la moyenne d’âge des étudiants était de 43 ans, elle était la doyenne. « Avant que je commence, une personne du milieu des affaires m’a dit : “À quoi tu penses ? À nos âges, tu n’auras pas de mémoire et tu vas être rouillée.” Mais comme j’étais à la tête d’une école, je me penchais déjà sur le contexte d’apprentissage depuis des années. J’avais le goût d’y aller. »

Pourtant, lorsqu’elle a commencé le module Comptabilité et finances, elle a perdu un peu d’assurance. « Je capotais ! Je rentrais le soir en comprenant parfaitement les enfants qui ne comprennent rien dans une matière à l’école. C’était souffrant en tabarnouche ! »

Heureusement, elle a réalisé que la vulnérabilité était admise dans ce contexte d’apprentissage. « C’est un milieu protégé, explique Louise Richer. Tout le monde est là pour poursuivre son évolution professionnelle et se chercher personnellement. Une espèce de solidarité de groupe s’est développée et Dieu que ça goûtait bon ! »

Elle dit avoir appris autant de ses professeurs que de ses pairs. « Je pouvais avoir de l’aide d’un collègue de classe qui est dirigeant de banque sur une question et moi-même en aider d’autres selon mes forces. »

Une gestion plus éclairée

Diplômée depuis 2016, Louise Richer sent que sa gestion est désormais plus éclairée qu’intuitive. « Sans tomber dans la suranalyse des opérations, j’ai un meilleur discernement pour faire évoluer les choses qui en ont besoin. J’évalue mieux l’acceptabilité des projets. Et j’ai amélioré mon processus décisionnel. »

« Ma formation a nourri ma gestion de l’école et notre incursion dans le milieu des affaires. »

— Louise Richer

En plus d’écrire un mémoire sur l’utilisation de l’humour en entreprise, l’étudiante-gestionnaire a débuté une série de conférences sur le sujet.

Quand on la questionne sur les profils de ses collègues de classe, elle parle d’une grande variété : banquiers, ingénieurs, avocats, pédopsychiatre et autres. « Toutes les origines professionnelles sont les bienvenues. Il ne faut pas avoir le syndrome de l’imposteur. Ça peut interpeller tout le monde. »

Tout le monde qui a les moyens de se payer la formation très coûteuse et qui est prêt à se faire bousculer. « On ne va pas là juste pour réseauter. Il faut être prêt à s’ouvrir complètement. Ça te débarre l’esprit et le cœur. C’est un tsunami qui te ramasse à tous les niveaux. D’une part, c’est une période de la vie tourbillonnante, parce qu’on est aux études et au travail en même temps. Mais d’autre part, c’est un moment d’arrêt et de réflexions, qui invite à revoir nos orientations et nos motivations. »

Vaincre le syndrome de l’imposteur

Peu après avoir été nommé vice-président de Juste pour rire, Serge Postigo s’est fait proposer par le grand manitou du festival, Gilbert Rozon, de s'inscrire au EMBA. Intrigué, il a fait des recherches sur le programme de McGill-HEC et s’est convaincu qu’il n’avait pas ce qu’il faut pour être admis. Mais il avait tort…

Avant et pendant sa formation, le comédien et metteur en scène a ressenti le syndrome de l’imposteur. « Je n’avais que mon cinquième secondaire et mon diplôme de l’École nationale de théâtre, explique-t-il. Je ne possédais aucune expérience en gestion et en affaires. Et j’imaginais mal avoir ma place avec des gestionnaires de haut niveau et des présidents de grandes entreprises. Je ne fais même pas mon rapport d’impôts moi-même ! »

Pourtant, quand il s’est présenté en entrevue, les doutes des dirigeants du programme à son égard étaient tout autres. « Ils m’ont demandé si j’avais le temps de faire le programme, avec mon horaire de travail très chargé. Je leur ai répondu que j’avais vérifié dans mon agenda et que ça fonctionnait. Alors, ils se sont levés et m’ont souhaité la bienvenue. »

GESTIONNAIRE SANS LE SAVOIR

Il a ensuite découvert que le parrain de sa cohorte, Laurent Lapierre, avait été metteur en scène avant de devenir une figure réputée de la gestion. Une information qui lui a fait réaliser qu’il était lui-même gestionnaire depuis longtemps, sans le savoir.

« S’il y a une chose que j’ai apprise au EMBA, c’est qu’on ne gère pas une entreprise, mais des humains au sein d’une organisation. »

— Serge Postigo

« Quand je monte des comédies musicales avec 50 ou 100 personnes d’impliquées, je gère la production, des gens avec des ego et des sensibilités exacerbées, qui sont tous interdépendants même s’ils ne se sont pas choisis. Comme dans n’importe quelle entreprise. »

N’empêche, les cours en finances et comptabilité ont donné du fil à retordre au créateur. « Les trois quarts des cours sont donnés en anglais et le lexique des affaires en est un en lui-même. Durant ma première heure, le professeur parlait d’"assets", et j’ai dû faire une recherche sur le web durant la pause pour savoir qu’il était question d’actifs… Ça donne une idée d’où je partais ! »

Déterminé, il a tout de même décidé de relever le défi intellectuel. « J’ai appris énormément sur le marketing, les opérations et les finances, mais j’ai compris que le programme ne visait pas à faire de nous des magnats de la finance en quelques cours. Et surtout, un leader n’a pas besoin de connaître tous les détails, mais de comprendre les gens qui s’en chargent pour prendre des décisions éclairées pour l’organisation. »

L'IMPORTANCE DES CHIFFRES MÊME DANS LES ARTS

Il a ainsi pris conscience de l’importance pour les artistes d’entendre parler de chiffres. « Refuser d’aborder la question budgétaire d’un spectacle, c’est se mettre dans l’obscurité avec la moitié de son travail, affirme Serge Postigo. On se condamne à être frustré, car on ne comprend pas la moitié de notre affaire. Pourtant, il faut absolument contrôler les paramètres d’une production, sinon on perd notre temps, on est fâché et on en veut aux autres, alors que c’est de notre faute. »

De mois en mois, son intérêt pour la promotion, la diffusion et le plan d’affaires des spectacles a décuplé, alors que sa vision des productions s’est transformée.

« Le EMBA m’a ouvert les yeux sur le fait que certains spectacles et certaines organisations sont parfois mal structurés, parce que les gens travaillent en silos. »

— Serge Postigo

Par exemple, l’équipe du marketing et les employés de la billetterie d’une institution artistique qui doivent généralement vendre un spectacle ou répondre aux questions du public, sans s’être assis dans la salle. « C’est important pour moi qu’ils voient à quoi ressemble ma vision. Ce sont eux les ambassadeurs qui devront fédérer le public. Et je veux développer chez eux un sentiment d’appartenance pour créer une communauté. »

UN «NOUVEAU» METTEUR EN SCÈNE

Il ajoute même que ses études l’ont complètement changé en tant que metteur en scène. « Avant, je signais la mise en scène de l’œuvre, point à la ligne. Maintenant, l’œuvre me sert à mettre en scène l’expérience du spectateur. » Fort du méga succès de Footloose – 62 700 billets vendus en deux mois et demi –, il se questionne même sur les raisons ayant poussé le reste des habitants de la région métropolitaine à ne pas assister à la comédie musicale. « Je veux comprendre comment les rejoindre, quelle est leur perception de la production et des spectateurs, et quelle est leur expérience de vie qui fait qu’ils ne se sentent pas concernés. J’aimerais gérer l’expérience des gens qui viennent pour faire en sorte qu’ils deviennent des personnes qui interfèrent dans la vie de ceux qui ne viennent pas, pour les pousser à venir. C’est purement du EMBA, ça ! »

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