Psychologie

La vulnérabilité au masculin

Grosse semaine pour les émotions masculines. À commencer, bien entendu, par le visage déconfit de Pierre Karl Péladeau, qui a jeté l’éponge politique en invoquant des raisons familiales. Temps chaotiques, à plus vaste échelle, pour l’expression de la psyché mâle, alors que le machisme éculé à la Donald Trump fait contraste avec la négation des frontières de genres dans les toilettes publiques de la Caroline du Nord. Exploration au territoire des émotions masculines.

Dans un article paru dans le New York Times le 4 avril dernier, Andrew Reiner, spécialiste de la vulnérabilité masculine à l’Université Towson, dans le Maryland, décrit une vidéo populaire sur YouTube qui en dit long sur la socialisation des émotions chez les tout-petits. Cette vidéo montre une scène de « vraie vie », avec un jeune enfant qui s’apprête à recevoir son premier vaccin.

Hors champ, la voix du père du garçon résonne : « Je vais te tenir la main, O.K. ? » Et lorsque le petit devient de plus en plus agité, le papa lui enseigne une sorte de gestion des émotions que l’on croirait inspirée directement par Rocky Balboa. Plein de bonnes intentions, le papa interdit à son fils de pleurer, lui offrant quelques « high five » et l’encourageant à crier : « Je suis un homme ! »

« En dépit de l’émergence du métrosexuel et d’une augmentation du nombre de pères à la maison, le stéréotype de l’homme fort a la vie dure », écrit Andrew Reiner, qui soutient qu’il faut en finir avec cette attitude de chercher à tout prix à étouffer la souffrance émotionnelle des garçons et encourager la colère.

« La colère est un effet normal associé à la tension et au conflit, bien entendu, exprime Andrew Reiner, interviewé par La Presse. Mais le problème, c’est que nous socialisons les garçons et les hommes en leur disant que c’est acceptable de montrer leur colère en public. En agissant ainsi, nous envoyant le message que leurs autres sentiments – c’est-à-dire, l’échelle naturelle de leur humanité – doit être réprimés, et que l’aspect public de leur masculinité est limité à une seule émotion destructive. »

Richard Cloutier, psychologue à l’Université Laval et auteur du livre Les vulnérabilités masculines paru en 2004, se montre du même avis, estimant que le modèle « Rambo » continue de bomber le torse à titre de modèle hégémonique pour garçons en quête de repères.

« Il y a énormément à faire et nous sommes très lents à reconnaître les besoins des gars, pour sortir d’une vision étroite de l’identité. »

— Richard Cloutier, psychologue à l’Université Laval

Il désespère de voir à quel point le vieux cliché du personnage gagnant, invulnérable, persévérant, qui n’avoue pas ses faiblesses, continue de trôner au sommet de l’idéal masculin.

À cet égard, le psychologue cite les réponses issues d’une petite étude où l’on a demandé à des garçons de 10 ou 11 ans ce que ça signifiait, d’être un gars.

« Pour Luc, 10 ans, la réponse se résumait à “ne pas être une fille”. Mais en réalité, les gars ont besoin d’ingrédients féminins, et vite ! Et faut-il ajouter que cette fermeture se constate dans un contexte de féminisation des services, où les garçons passent plusieurs années de leur processus de développement sans avoir de modèles masculins. Ce qui nous amène sur le terrain glissant de l’équité hommes-femmes : nous ne sommes pas prêts à faire de la discrimination positive, même si on sait qu’il faudrait plus de modèles. Et quand on rencontre un gars qui veut travailler dans une garderie, on le trouve louche, on l’interroge sur sa motivation. »

L’HOMME NOUVEAU, DE JUSTIN À PIERRE KARL

L’année 2016, déjà, s’est montrée fertile en exemples d’émotivité masculine en nette rupture avec le conformisme répressif d’antan, avec notamment le très alpha Bruce Springsteen qui a annulé un concert pour protester contre la loi « anti-transgenre » en Caroline-du-Nord.

Devenu orphelin de Prince et de David Bowie, notre monde s’est aussi rappelé comment les années 70 et 80 ont ouvert la voie à des sensibilités masculines plus accueillantes, à des identités mâles plus androgynes.

Les décennies suivantes ont toutefois été suivies par une foule d’expressions des émotions masculines, allant du désespoir du grunge de Kurt Cobain à la domination cowboy de George Bush, au « bling » macho du hip-hop d’Ice Cube à Kanye, à la stature morale d’Obama, à la mélancolie hipster de Coldplay…

Tout ça pour arriver à une constellation où, on dirait, une foule d’expressions de la sensibilité masculine s’expriment en simultané : l’arrogance caricaturale de Donald Trump qui pavoise sur la grandeur de ses mains, le « king » du rap Jay Z qui s’efface pendant que sa belle Beyoncé révèle son infidélité, Justin Trudeau qui séduit la planète avec son aura de père de famille à échelle humaine, et maintenant Pierre Karl, l’ambitieux qui baisse l’échine en réponse aux tirs de Julie…

Du côté du commun des mortels, ajoute Richard Cloutier, la socialisation des comportements dépend surtout de ce qui est transmis par l’univers familial. « Si l’univers comportemental de la famille n’est pas “genré”, par exemple, si l’expression des émotions est favorisée, si la mère conduit la voiture pendant que le père se trouve à côté, le corridor identitaire sera moins étroit. »

« On a fait des progrès, avec les nouvelles générations. Il y a des percées intéressantes, comme les congés parentaux qui impliquent les pères. Mais tout cela prend du temps. »

— Richard Cloutier, psychologue à l’Université Laval

LE BUFFET DES ÉMOTIONS

Dans le cadre de ses recherches en marketing, Jordan Le Bel, professeur à la John-Molson School of Business de l’Université Concordia, s’est lui aussi attardé à l’expression des émotions chez les hommes, en comparaison avec celle des émotions des femmes. Il a choisi la nourriture comme objet d’études associé à l’expression des émotions.

Quand il s’agit de « bouffe réconfortante », explique Jordan Le Bel, hommes et femmes ne se sustentent pas au même buffet des émotions…

« Il existe une asymétrie de genre entre hommes et femmes sur les trajectoires émotionnelles qui amènent les hommes et les femmes à vivre une expérience. Dans le cadre d’une première étude, nous avons constaté que les émotions négatives, comme de la tristesse, attiraient les femmes vers les aliments réconfortants. Et celles-ci sont le plus souvent portées à se tourner vers des aliments riches en gras ou en sucre comme la crème glacée, les chips, le chocolat…

« Chez les hommes, le scénario est très différent. La bouffe réconfort s’inscrit dans la continuation d’une bonne journée : je me tape un bon steak pour célébrer quelque chose. De plus, l’aspect réconfortant n’est pas associé à la malbouffe : on va choisir un bon steak, une bonne pizza… »

En revanche, la timidité ou la honte surgissent chez les hommes consommateurs quand il s’agit d’acheter des produits de beauté masculins. « Depuis quelques années, certains fabricants de produits ont commencé à construire des men caves avec des écrans de télé qui diffusent des matchs de football en boucle, pour rassurer les hommes très “straight et carrés” dans leur masculinité », indique Jordan Le Bel.

Sur Mars ou sur Vénus, la vulnérabilité s’exprime en pleurant, en dévorant du chocolat en cachette, en pliant l’échine devant le Québec, en se roulant en boule dans un poncho. Parce qu’après tout, c’est l’expression de notre humanité commune.

Candeur

Elf

Will Ferrell est hilarant d’innocence en soldat du père Noël qui a fui le pôle Nord pour retrouver son père biologique new-yorkais.

Mélancolie et dépendance

Sideways

Paul Giamatti, en épicurien qui cache un alcoolisme, s’aventure dans les zones de la mélancolie romantique en romancier au cœur brisé.

Blessure et guérison

The Messenger

Ben Foster rend une interprétation nuancée et complexe en militaire fraîchement rentré de la guerre en Irak, qui traverse un choc post-traumatique et un dilemme éthique.

Impulsion explosive

Mommy

Antoine-Olivier Pilon transmet l’impulsivité explosive et parfois violente d’un jeune homme atteint de TDAH.

Tendresse et répression

Brokeback Mountain

Heath Ledger et Jake Gyllenhaal rendent avec sensibilité et douleur l’histoire d’amour impossible de deux cowboys du Montana.

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