Alimentation

Et si on bannissait le mot « superaliment »

« Superaliment ». C’est le mot à la mode dans bien des blogues et médias. Mais quand on se met à creuser, il est difficile de trouver un nutritionniste qui emploie ce terme. En fait, plusieurs spécialistes de la santé détestent cette étiquette et voudraient même que le mot disparaisse de notre vocabulaire.

Le nutritionniste Jean-Claude Moubarac, qui a travaillé sur le guide alimentaire brésilien, considéré comme un modèle en la matière, estime qu’il faudrait bannir le mot « superaliment ». Selon lui, aucun aliment ne peut réussir à combler tous nos besoins, c’est plutôt la manière dont on combine ceux-ci qui influence notre santé. En fait, la qualité des aliments ne devrait pas être évaluée selon leurs nutriments, mais selon leur niveau de transformation.

« Les aliments qui sont sains sont des aliments frais comme les fruits, les légumes, les légumineuses, les noix, la viande, ou à peine transformés comme les fruits séchés, le lait ou le yogourt. Si on pige parmi ces aliments et qu’on les cuisine sans utiliser trop de sucre, trop d’huile ou trop de sel, on obtient un repas équilibré. »

— Le nutritionniste Jean-Claude Moubarac

Le chercheur en nutrition publique au département de nutrition de l’Université de Montréal s’interroge : sur quoi se base-t-on pour désigner des superaliments ? La baie de goji, par exemple, n’est pas supérieure à nos bleuets si l’on compare les nutriments des deux petits fruits, dit-il. En revanche, la baie qui vient de Chine parcourt une longue distance avant d’atterrir dans nos assiettes et elle ne contribue pas à l’économie locale. « Quand on prend ces données en considération, il n’y a vraiment rien de super », souligne-t-il.

Tout comme M. Moubarac, la nutritionniste Geneviève Nadeau croit que tous les aliments qui n’ont pas subi de transformation peuvent être considérés comme des superaliments. La chroniqueuse à l’émission Médecin sans rendez-vous trouve que le mot qui évoque des pouvoirs magiques est trop souvent utilisé pour promouvoir des aliments que l’on connaît moins comme l’eau de cactus ou le freekeh (blé vert).

« Ça nous fait oublier les aliments communs comme la pomme ou la patate. On en vient presque à se dire que tous les aliments qui viennent du Québec ne sont pas si super, alors qu’au fond, eux aussi possèdent des atouts. C’est juste qu’on les met rarement de l’avant. »

— la nutritionniste Geneviève Nadeau

S’attaquer aux aliments transformés

Elisabeth Cerqueira, qui a coécrit cinq livres sur les superaliments (bonheur, anti-âge, mémoire, diabète et arthrite), s’étonne que des nutritionnistes s’attardent aux superaliments qui sont bénéfiques pour la santé. Elle estime que les spécialistes de la nutrition devraient plutôt s’attaquer aux aliments transformés.

La présidente de Nutrisimple admet malgré tout que le mot « superaliment » est souvent galvaudé par les médias et les entreprises agroalimentaires. Quoi qu’il en soit, elle est sans équivoque : un aliment à lui seul ne transformera jamais la santé d’une personne.

« Les livres que nous avons écrits visent certaines conditions. Je n’aurais jamais fait un ouvrage sur les superaliments en général parce qu’il aurait fallu que j’inclue tous les fruits, tous les légumes, toutes les légumineuses qui existent sur la planète. Tous les aliments non raffinés sont de bons aliments », dit-elle.

La nutritionniste Sandra Griffin a pour sa part signé un texte sur les superaliments dans le magazine Grossesse, il y a à peine plus d’un an. Avec le recul, la nutritionniste admet que le mot « superaliment » est un terme qui ne fait pas l’unanimité dans la communauté des nutritionnistes « parce qu’il dévalorise certains aliments alors que ceux-ci sont bons pour la santé ».

Elle admet que le qualificatif donne en quelque sorte des superpouvoirs à des aliments. En même temps, elle croit qu’il ne faut pas y voir que du mal.

« Probablement que c’est une technique de marketing. En même temps, si ça fait découvrir le chou frisé, le quinoa ou les graines de chanvre à certaines personnes, c’est quand même tant mieux ! »

Pourvu que l’on n’oublie pas que les pommes et les carottes sont aussi bonnes pour notre santé.

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