Agriculture

Le Québec, leader mondial de la production de canneberges

Les secrets de la récolte de ce petit fruit rouge qui, contrairement à la croyance populaire, ne pousse pas dans l'eau

Saint-Lucien — Pour la canneberge québécoise, tout baigne : la production a quintuplé entre 2005 et 2016.

Tout baigne, sauf le fruit.

Car en arrivant à la ferme Canneberges L&S, à Saint-Lucien, près de Drummondville, on cherche en vain l’emblématique lac de petites baies rouges.

Derrière le rideau d’arbres qui longe la route, le vaste espace plat et dégagé est découpé en 76 champs rectangulaires, moitié grands comme un terrain de football. Chacun est encadré par une chaussée légèrement surélevée.

C’est un paysage répandu au Centre-du-Québec. Près de 90 % des quelque 80 producteurs de canneberges que compte le Québec y sont situés. « La canneberge est aujourd’hui pour le Centre-du-Québec ce que le bleuet est pour le Lac-Saint-Jean », souligne Kevin Connolly, directeur général de Canneberges L&S et président de l’Association des producteurs du Québec.

Au début des années 90, pourtant, la production était infinitésimale. Le Québec est à présent le premier producteur mondial de canneberges biologiques. Pour la production totale, il s’échange, selon les années, les deuxième et troisième rangs avec le Massachusetts, derrière le Wisconsin.

Cannebergières au Québec

1992 : 3

2005 : 40

2017 : 80

Superficie

1992 : 264 acres

2005 : 3717 acres

2017 : 10 558 acres

La recette de la canneberge

La recette de la canneberge reste toutefois méconnue du grand public.

Les 76 champs de Cannerberges L&S, parfaitement secs, sont couverts d’une courte végétation crépue. Mais où sont ces étangs rougeoyants dont la publicité a imposé l’image ?

« Quand les gens disent que les canneberges poussent dans l’eau, ce n’est pas vrai, assène Kevin Connolly, qui guide la visite. On n’utilise l’eau que pour les transporter. »

Le ballet

En effet, trois ou quatre de ces champs sont noyés.

Sur un de ces longs bassins, quatre machines avancent à petite vitesse, chacune entourée d’une flottille de minichaloupes de plastique.

Ces récolteuses ne sont pas sans rappeler une petite surfaceuse de patinoire.

Elles sont munies d’un peigne qui effleure les vignes immergées, pour en détacher les baies.

À l’avant de l’appareil, un long cylindre à aubes de caoutchouc forme des vaguelettes qui rabattent les fruits flottants vers une rampe où ils sont hissés. Une courroie les déverse dans la chaloupe noire qui flotte à côté de l’engin.

« On est le plus grand consommateur de chaloupes de pêche ! », dit en rigolant Kevin Connolly.

Quand un train de chaloupes est plein, il est tiré jusqu’à la berge du bassin. Une pelle mécanique équipée d’une fourche spéciale les saisit pour déverser les billes rouges dans la benne d’un camion.

Le fruit

Les canneberges mûrissent sur des plants rampants dont les rameaux ne s’élèvent pas à plus de 10 ou 15 cm du sol.

Lorsque les fruits sont mûrs, on peut les cueillir avec des peignes, à la manière des bleuets. Mais il est plus facile de profiter d’une de leurs caractéristiques essentielles : leur faible densité.

Kevin Connolly fait glisser dans l’eau sa main tendue, comme une aile survolant les plants submergés. La faible agitation suffit à détacher les fruits, qui montent aussitôt à la surface.

« Je vais vous en ouvrir une. »

Le petit fruit à l’écorce rougeâtre cache dans sa chair des alvéoles vides qui le font flotter comme un bouchon de liège.

L’eau

L’eau, qui provient essentiellement des pluies et de la fonte des neiges, est emmagasinée dans des lacs artificiels.

Au moment de la récolte, cette eau est transférée dans un long canal longitudinal, bordé de part et d’autre par les champs.

Une vanne permet d’inonder le champ, une autre, de le vider. « On fait entrer l’eau et on la sort à l’intérieur de cinq à six heures », décrit le directeur.

Dans l’intervalle, le champ aura été moissonné. « Je fais trois champs de cinq acres par jour. »

L’image traditionnelle

Dans un bassin qui vient d’être moissonné, on observe le tableau plus traditionnel d’une mer rouge, au milieu de laquelle pataugent trois employés en cuissardes. Ce sont les fruits qui ont échappé au passage des récolteuses. À l’aide d’une barrière flottante, les canneberges sont réunies et tirées vers la berge, où une pompe les aspire.

L’usine

En haute saison, Canneberges L&S emploie quelque 160 personnes, dont une soixantaine de travailleurs temporaires mexicains qui habitent dans les maisons mobiles alignées près de l’usine.

L’usine de transformation et d’emballage fonctionne avec trois quarts de travail, à raison de 35 personnes chacun. Au cœur de l’hiver, l’entreprise conserve encore 70 employés permanents.

Grâce à l’Action de grâce

Canneberges L&S, membre de la coopérative multinationale Ocean Spray, produit chaque année entre 8 et 10 millions de livres de canneberges. « Tout ça s’en va dans le créneau spécialisé de la canneberge fraîche », informe Kevin Connolly.

La saison commence doucement à la mi-septembre, pour répondre à la demande de l’Action de grâce canadienne. « Mais quand on fait l’Action de grâce américaine, on multiplie par 10 000 notre activité » – une image, bien sûr.

Plus de 60 % de la production est alors récoltée, emballée et expédiée en moins de trois semaines. « C’est débile ! »

Production de canneberges au Québec

2005 : 24 945 tonnes métriques

2016 : 125 406 tonnes

2017 : 72 848 tonnes (mauvaise saison)

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