Chronique Lysiane Gagnon

Pourquoi tout ce mépris ?

Le torrent de quolibets méprisants dont est victime Martine Ouellet depuis des semaines est quelque chose d’absolument inédit. En tout cas, je n’ai jamais vu pareil acharnement contre un politicien, encore moins un politicien dont le seul crime aurait été de tenir mordicus à ses convictions.

Je dis « politicien »… or, il s’agit d’une politicienne. Serait-ce l’explication ?

Entendons-nous. Il n’y aurait rien d’anormal à critiquer la chef du Bloc québécois, qui se trouve dans la position embarrassante de diriger un parti dont 70 % des députés ont démissionné pour exiger son départ.

La critique, soit. Mais cette unanimité dans le dénigrement ? Ces injonctions autoritaires qui la somment de « partir » ? Même l’ancien chef du Bloc, Gilles Duceppe, est sorti de son devoir de réserve. On lui aurait reproché d’agir comme la pire des belles-mères s’il ne s’était agi de Mme Ouellet, avec laquelle il semble qu’on puisse tout se permettre.

Quel autre politicien a été traité de cette façon ? Même Gaétan Barrette, attaqué de toutes parts, est respecté en tant qu’être humain, alors que Mme Ouellet est désormais réduite à une caricature déshumanisée offerte aux railleries des badauds.

Je ne parle pas des médias sociaux, qui charrient n’importe quoi, mais des médias respectables, dont on dirait qu’ils se sont tous donné le mot pour présenter Martine Ouellet comme un personnage infréquentable, ridicule ou toxique.

Daniel Lessard, de Radio-Canada, a fait entendre une rare voix discordante : il doute qu’un homme serait traité de la même manière. Quoique n’étant pas du genre à voir du sexisme partout, je suis assez d’accord avec lui.

L’autre phénomène bizarre, c’est l’attention exagérée que portent les médias aux aléas du Bloc québécois. Les derniers sursauts de vie de cette formation qui a pourtant déjà fait la preuve de son inutilité ne cessent, semble-t-il, de fasciner nos confrères, ceux du Devoir particulièrement, qui y a consacré je ne sais combien de manchettes et de textes longs et détaillés.

Durant les trois derniers mois, le Bloc a été mentionné 16 173 fois dans les médias francophones québécois ! On n’a jamais autant parlé du Bloc que depuis qu’il est en train de s’auto-euthanasier.

Qu’est-ce qui motive cet intérêt obsessionnel, que ne justifie aucunement cette querelle interne dans un parti déjà exsangue, et ce triste spectacle d’une poignée de députés affolés à la perspective de perdre leur siège aux prochaines élections ?

Comment se fait-il que dans un Québec où la souveraineté reste une sorte de beau rêve pour bien des gens, on en soit venu à traiter de folle la dernière résistante qui porte encore haut les couleurs de la souveraineté ? Étrange paradoxe, que la psychiatrie sociale devrait creuser.

Dans un texte percutant et inspiré publié mardi dans Le Devoir, le musicien et comédien Sébastien Ricard explique cette « inquiétante unanimité » contre Martine Ouellet par « la crise permanente et sourde des institutions politiques » et par les compromissions auxquelles se prêtent les souverainistes.

Effectivement, Martine Ouellet détonne singulièrement, dans un paysage où les souverainistes ont tous, sans exception, peureusement poussé leur option sous le tapis. Mais elle ne fait que s’inscrire dans la longue lignée de l’indépendantisme orthodoxe, tel qu’il a été incarné par les pionniers du mouvement et par Jacques Parizeau.

Lui aussi voulait axer toute l’action du Parti québécois sur la souveraineté, au détriment de la stratégie du « bon gouvernement » ou, dans le cas du Bloc, de « la défense des intérêts du Québec ».

Une fois premier ministre, M. Parizeau a dû mettre de l’eau dans son vin, mais c’est cette même stratégie volontariste qui est celle de Mme Ouellet. Elle place le prosélytisme au-dessus de la rentabilité électorale, ce qui est une démarche militante tout à fait honorable, et parfaitement normale dans un mouvement qui veut renverser l’ordre établi. On peut trouver sa démarche irréaliste, ou mal accordée à notre époque, mais elle n’a rien de honteux ni de ridicule.

De la même façon, le référendum lancé par la chef du Bloc n’a rien de grotesque, quand on connaît l’historique souverainiste. Sa question est longue et tortueuse ? Le PQ a fabriqué de pires questions aux référendums de 1980 et de 1995 !

On reproche à Mme Ouellet de conditionner sa « victoire référendaire » à une majorité de 50 % plus une voix. Mais c’était sur cette majorité simple que le PQ comptait démanteler le Canada, avec l’approbation des leaders fédéralistes de l’époque !

On comprend la panique qui s’est emparée des députés bloquistes. L’orientation de leur nouvelle chef risque de les faire battre aux prochaines élections, compte tenu de la désaffection populaire envers la souveraineté. Envolés, le juteux salaire de député fédéral, envolés les rêves de retraite dorée…

Mieux vaut se contenter de promettre, comme Gilles Duceppe l’a fait pendant des années, de travailler pour « les intérêts du Québec » plutôt que pour l’indépendance, même s’il s’agissait d’une pure fiction. Les intérêts du Québec seront toujours mal servis par un parti d’opposition perpétuelle qui parasite le Parlement du pays dont il veut se séparer.

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