Mon clin d’œil

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Opinion : Balle molle au parc Jeanne-Mance

La Ville a détruit un espace urbain mythique

La semaine passée, avec la vitesse d’un tueur à gages qui enterre sa dernière victime, la Ville a fait disparaître un terrain de baseball au parc Jeanne-Mance, dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal.

Si vous voulez visiter le lieu du crime, il se trouve sur la marge nord du parc, sur l’avenue du Mont-Royal à l’angle de la rue Jeanne-Mance. Cette œuvre de destruction a eu lieu peu de temps après que la Ville eut promis, par écrit, que les joueurs continueraient à jouir de cet espace urbain mythique.

Je dis « mythique » car des matchs de balle molle se jouent sur ce terrain depuis des décennies. Les jeunes voyous dans les romans de Mordecai Richler, après un petit vol à l’étalage sur la Main, s’intégraient aux matchs pour échapper aux forces de l’ordre.

Aujourd’hui, le terrain est le plus grand laboratoire d’intégration sociale à Montréal.

Voilà pourquoi la Ville devrait travailler à préserver ce site, et non pas à le démolir. La communauté des joueurs n’a pas son pareil en ville. Les immigrants latinos, attirés par le baseball, se défont de leur côté macho traditionnel pour jouer avec des femmes. Et les femmes, encouragées par une atmosphère d’inclusion, se mettent un gant sur la main et sautent sur le terrain.

Cette communauté a adopté un gars de la Somalie qui n’a jamais joué au baseball et, avec un peu d’instruction, l’a transformé en joueur habile. Le Parc – on en parle comme s’il était un être vivant, et c’est justement le cas – a fait des œuvres caritatives pour soutenir des personnes malades et des centres communautaires locaux comme le Santropol.

La diversité est un mot à la mode de nos jours. Curieux que la Ville cherche à l’empêcher au lieu de l’appuyer.

L'ÉLÉMENT DÉCLENCHEUR

La décision de démolir le terrain n’est pas venue de nulle part. En 2016, pendant un match chaudement disputé, les joueurs ont demandé plusieurs fois à une touriste française de se déplacer, car elle était assise en plein champ. Elle a refusé. Pour quelle raison, on ne le saura jamais. L’inévitable s’est produit : elle a été frappée à la tête par une balle. Et même une balle molle peut faire des dommages. Elle a intenté un procès contre la Ville, et elle a gagné.

Évidemment, les citoyens de Montréal qui paient des impôts tiennent à ce que la Ville soit responsable avec l’argent public, comme dans le cas de la corruption, des contrats, des chantiers et de tout le reste. Mais il y a des alternatives à la destruction du Parc et de cette communauté. La Ville pourrait, par exemple, ériger des clôtures comme on en voit autour de chaque terrain de balle en ville.

Les joueurs, en colère, ont tendance à blâmer le maire du Plateau, Luc Ferrandez. C’est un homme très en vue, c’est son jeu. Qu’il ait qualifié la communauté des joueurs d’Anglos mangeurs de hot-dogs montre qu’il a étudié à l’école de diplomatie de Donald Trump (les joueurs se défendent : « On mange des saucisses européennes », ripostent-ils). Mais Ferrandez n’est pas le problème.

C’est la mairie, c’est Valérie Plante qui est en cause. 

C’est maintenant l’heure où Projet Montréal doit se distinguer comme un parti politique qui voit au-delà de sa clientèle traditionnelle.

Qui pourrait collaborer avec des communautés qu’il n’a pas mises en place, qu’il ne gère pas, des communautés qui sont spontanées. On dirait que Projet Montréal est mal à l’aise avec tout ce qui est spontané, désordonné, non planifié. On dirait qu’il est devenu un parti de psychorigides.

Il est temps que la mairesse Plante se penche sur la situation si elle veut aider à la préservation de ce qui fait de Montréal la ville que nous, bons joueurs, aimons et améliorons chaque fois qu’on y joue.

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