Diversité dans le monde des affaires

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Nombre de candidats rencontrés dans le cadre du programme Interconnexion de la chambre de commerce du Montréal métropolitain. Les organisateurs s’attendent à ce que 70 % d’entre eux trouvent du travail.

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Il y a deux fois plus d’immigrés à Toronto qu’à Montréal, non pas en chiffres absolus, mais en pourcentage, ce qui explique, selon Michel Leblanc, président de la chambre de commerce du Montréal métropolitain, pourquoi ils sont mieux répartis partout dans la société.

8,6 %

Taux de chômage à Montréal, un taux plus élevé qu’à Toronto (7,1 %). Selon Michel Leblanc, ce taux nettement plus bas à Toronto, qui favorise les travailleurs, pousse les employeurs à être ouverts à la diversité quand vient le temps de chercher de la main-d’œuvre.

Diversité dans le monde des affaires

L’autre plafond de verre

Il est 11 h 30 au centre-ville de Montréal et dans une grande salle de l’hôtel Delta, des tables sont préparées, des affiches de grandes entreprises financières ont été dressées et toutes sortes de candidates et candidats en tailleur ou en cravate attendent sagement pour passer une entrevue minute.

Leur caractéristique commune ? Ce sont tous des immigrés récents ou des gens issus de l’immigration.

Ici, une dame qui a fait de longues études en finances originaire du Sénégal, là-bas un homme d’affaires qui était directeur de banque au Pérou.

Ce n’est pas une séance de « speed-dating », mais plutôt un vaste exercice de recrutement organisé dans le cadre du programme Interconnexion de la chambre de commerce du Montréal métropolitain pour aider les nouveaux arrivants à se trouver du boulot.

« On a besoin de main-d’œuvre qualifiée, compétente, il faut éliminer le gaspillage de savoirs », explique Michel Leblanc, président de la Chambre. Il faut lutter contre le cliché de l’immigré hyperqualifié qui fait des ménages ou qui conduit des taxis parce qu’il n’arrive pas à trouver un emploi à la hauteur de ses compétences.

Et il y a des « enjeux », explique M. Leblanc, qui font que ces gens ne sont pas embauchés. Il y a « des entreprises pas à l’aise ».

Alors la Chambre, financée par le gouvernement du Québec, a choisi d’agir.

Les travailleurs immigrés, les personnes issues de l’immigration, sont partout au Québec, mais le monde des affaires leur fait-il suffisamment de place ? Leur ouvre-t-on assez de portes ?

Malheureusement, même s’il y a maintenant quelques décennies que des lois – en commençant par la loi fédérale sur l’équité, la plus musclée – demandent aux employeurs d’ouvrir leurs portes de façon équitable à tous, il n’existe pas encore d’étude chiffrée pour évaluer clairement la situation de l’emploi des minorités culturelles et visibles au Québec. Pour nous dire si les immigrés et personnes issues de l’immigration percent les directions d’entreprise, sont bien placés dans les bureaux de comptables ou d’avocats, font partie des entreprises qu’encouragent les prêteurs des banques. Bref, on a peu de données sur leur place dans Québec inc. La chambre de commerce va rendre publique une étude sur la question en mai.

UNE QUESTION DE SURVIE

Mais d’abord, disons que « les immigrants entrepreneurs sont nombreux, explique Sébastien Arcand, professeur à HEC Montréal et spécialiste de la place des minorités culturelles dans le monde des affaires. Sauf que ce sont souvent de petits commerces. » Des petits restaurants, des dépanneurs, des entreprises de service spécialisées pour la clientèle immigrante que connaît le propriétaire. Souvent, ce n’est pas par choix que l’immigrant se lance ainsi, c’est par nécessité.

« C’est une question de survie », ajoute Chan Tep, journaliste d’origine cambodgienne et spécialiste des questions touchant l’intégration des immigrés à Montréal. « Et ce n’est pas avec l’argent des banques ou des fonds d’investissement, ajoute-t-elle, que ces entreprises sont démarrées. »

Y a-t-il un plafond de verre qui empêche les membres des minorités culturelles d’entrer autrement dans le monde des affaires ? Oui, répond M. Arcand. Les portes sont ouvertes à l’école, mais après, ils se heurtent à des évaluations subjectives le temps venu de donner des promotions ou d’accorder du financement pour des projets.

« On fait souvent une mauvaise lecture des différences culturelles. Et les gens, par nature, ont tendance à aller vers ceux qui leur ressemblent. »

— Sébastien Arcand, professeur à HEC Montréal

Selon M. Arcand, ce n’est pas uniquement une question de nombre d’immigrés qui fait que le monde des affaires torontois est plus diversifié, que ce soit dans les bureaux de comptables, d’avocats, à la direction des entreprises ou dans les jeunes entreprises encouragées par les investisseurs. « Le nous est très fort ici. […] Il y a encore une certaine fermeture au Québec, mais c’est très délicat de parler de ça. »

FRILOSITÉ

Dans certains secteurs où on travaille beaucoup avec les chiffres ou la science, les différences culturelles sont plus facilement oubliées, note le professeur. Affirmation secondée par Frantz Saintellemy, ingénieur diplômé du MIT et homme d’affaires travaillant dans le monde des technologies – l’entreprise allemande qu’il pilotait, ZMDI, a été vendue en décembre à la californienne IDT pour 325 millions. « C’est plus difficile de douter quand on parle de science, de chiffres », dit-il.

De façon générale, M. Saintellemy, qui a fondé un incubateur pour jeunes entreprises dans le quartier Saint-Michel nommé Le 3737, constate une certaine fermeture, une frilosité des réseaux d’affaires québécois face à la diversité.

« L’accès au financement est difficile pour les nouveaux arrivants. Ils n’ont pas les mêmes assises, les mêmes ressources, les mêmes connexions », dit-il. 

« Le réseau francophone québécois est très fermé. Il faut connaître les bonnes personnes. »

— Franz Saintellemy, ingénieur

Cela dit, il ne croit pas qu’il soit essentiel de faire partie des bons clubs pour lancer une entreprise et avoir du succès. À l’heure de l’internet et de l’économie mondialisée, explique l’homme d’affaires, on peut aller chercher des clients, des collègues et du succès partout. Il se donne en exemple, avec son parcours scolaire américain et le fait que ce soit une entreprise allemande qui lui ait donné sa chance comme haut gestionnaire.

Celui-ci n’est pas certain qu’on lui aurait accordé la chance de diriger cette société si elle avait été au Québec. « Ça n’aurait pas été aussi facile ici », dit-il.

Une autre des difficultés qu’affrontent les immigrés, c’est ce que le professeur Arcand appelle « colour washing. » Les entreprises, explique-t-il, essaient de paraître plus inclusives qu’elles ne le sont.

« On s’attend à ce qu’une seule personne représente à elle seule toute la diversité culturelle », explique Kerlande Mibel, qui a fondé Zwart, une entreprise de marketing destinée au marché multiculturel. « Et après, cette même personne doit faire trois fois plus pour être digne, par exemple, de siéger à un conseil d’administration. »

Pourtant, poursuit Mme Mibel, les avantages d’affaires à la diversité sont nombreux. Cela peut, par exemple, permettre d’élargir le rayonnement de l’entreprise hors des clientèles traditionnelles au Québec, sans parler des idées nouvelles, des façons de penser nouvelles apportées par la diversité au sein d’un groupe de travail, quel qu’il soit. Mme Mibel parle aussi d’avantages pour des entreprises exportatrices. « C’est bon d’avoir des gens qui connaissent et le Québec et le marché où on veut exporter. »

« La diversité, c’est essentiel pour aider l’ouverture d’esprit et favoriser les mélanges d’idées et l’innovation », résume Barème Touré, une responsable de l’embauche à la Société Générale à Montréal. « C’est vrai que le plafond de verre existe, mais je ne le comprends vraiment pas. Je ne cesse de me poser la question. »

La question de la langue

La chambre de commerce nous a révélé un élément de l’étude qu’elle a commandée sur la place des minorités culturelles dans le monde des affaires montréalais, qui sera dévoilée en mai : les entreprises ont dit aux auteurs de la recherche que c’est souvent « la connaissance fine du français » qui entre en jeu quand vient le temps de donner des promotions et que si on veut aider les membres des minorités à avancer en entreprise, c’est vers une francisation accrue qu’il faut regarder.

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