L’idole de Louise Desjardins 

Faux et usage de faux

Dieu est mort, vive les dieux. Le nouveau roman de Louise Desjardins se penche sur notre illusoire quête d’idoles. À la mort de son mari, Éveline s’exile en Argentine pour finir ses jours, croit-elle, tranquille. Mais la vie et Eva Perón, idole par excellence, en décident autrement. Quel est ce besoin de percevoir un autre être humain comme étant parfait ? Pourquoi refuser aveuglément de distinguer le réel du faux ?

On pourrait croire à vous lire qu’on est tous l’idole de quelqu’un, mais une idole, c’est beaucoup plus qu’une personne idéale, non ?

Les idoles se fabriquent, on ne naît pas idole. La question que je me suis posée, c’est pourquoi les gens sont si idolâtres. C’est religieux de considérer un être humain comme un dieu. Aujourd’hui, on n’a plus de dieu abstrait, alors on en crée en chair et en os. Les gens semblent avoir besoin de trouver meilleur que soi. C’est comme une drogue, quelque chose qui nous console, qui nous fait oublier la condition humaine.

C’est un peu dérangé, du moins dérangeant ?

J’écris toujours sur des choses qui me dérangent. La mère du personnage principal, Éveline, avait Eva Perón comme idole. Elle n’avait pas pu répondre elle-même à ses propres aspirations, alors elle voyait Eva comme une projection d’elle-même.

Même Éveline a des idoles littéraires sud-américaines, surtout, Cortázar, Borges, Márquez ?

L’avantage de la littérature, c’est que tu peux aimer ce qu’un auteur écrit sans connaître cette personne, sans l’idéaliser. On peut adorer des livres dont on ne connaît absolument rien de l’écrivain. C’est la beauté de l’art.

Le frère d’Éveline est une grande vedette du cinéma un peu détestable. Il ne faut pas y voir de ressemblance avec votre frère à vous, un certain Richard ?

[Rires] Il n’est pas détestable, juste trop occupé, mais non, cela n’a rien à voir. […] Je ne fais pas d’autofiction, mais du réel recyclé. Je ne crois pas qu’un écrivain écrive complètement en dehors de lui, de toute façon.

C’est la fabrication des vedettes qui vous préoccupe dans le fond ?

Ça fait 35 ans que j’écris et personne ne me reconnaît dans la rue. Par contre, un acteur écrit un livre et, tout de suite, quelqu’un quelque part crie au chef-d’œuvre. On ne sait plus si on vénère le comédien ou son écriture. Éveline est en dehors du star-system et essaie de comprendre puisqu’elle devient l’une des victimes de la notoriété de son frère. Ce n’est pas mon cas. 

Avez-vous fait une résidence d’écriture à Buenos Aires ?

Pendant deux mois. Je ne voyage jamais en tout-compris. Je veux habiter dans un vrai quartier et, dans ce cas, j’ai appris l’espagnol. J’aime pouvoir parler aux habitants d’une ville. Voyager, c’est aller à la rencontre des gens. Ce qu’Éveline voit, c’est un peu ce que j’ai vu de l’Argentine. C’est un confluent de plusieurs cultures entre l’Europe et l’Amérique latine. Malheureusement, on en entend peu parler ici.

Éveline est presque l’idole d’un homme plus jeune qu’elle, Alejandro, mais son désir de solitude semble plus grand ?

Elle veut être seule pour finir ses jours. Pour ne pas faire face à toute la panoplie de questionnements, qui inclut la famille, au sujet de la fin de vie. Elle cherche à esquiver sa mort et elle tombe sur la vie ! Partie pour avoir la paix, elle la perdra. C’est ça un voyage.

Vous n’en étiez pas à votre premier voyage, j’imagine ?

Quand j’avais 40 ans, après un divorce, j’ai décidé d’aller au Népal toute seule, puis j’ai écrit Journal du Népal. Venant de Rouyn-Noranda, j’avais toujours rêvé d’écrire, mais je ne l’avais jamais fait. Je pensais qu’un écrivain, c’était un vieil Européen, parce qu’il n’y en avait pas dans ma rue [rires]. J’ai ensuite étudié en lettres, puis enseigné la littérature. Après le Népal, j’ai commencé à écrire et je n’ai jamais arrêté.

Voyager, c’est aller vers soi, non ?

Tout voyage possède quelque chose d’initiatique. Ça nous renvoie à nos premières pulsions, à puiser en nous des forces qu’on ignorait avoir. C’est comme une mise au monde. On est obligés de tout voir d’un regard neuf. Moi, je ne lis jamais de guides de voyage.

Voyager, c’est aussi aller à l’encontre d’un monde qui a tendance à se refermer sur soi de nos jours ?

Quand tu apprends à connaître vraiment quelqu’un, tu ne peux pas le détester. À la base, nous sommes tous pareils. Bien sûr, le danger vient de quelques illuminés, des idolâtres justement, mais il s’agit d’une infime minorité. Durant ma jeunesse dans une ville minière, tous mes voisins étaient allemands, polonais… On jouait et on avait du plaisir ensemble. On ne naît pas en pensant que l’autre est différent.

L’idole

Louise Desjardins

Boréal

244 pages

EXTRAIT

« Le bât a blessé, blesse encore. Je n’ai aucun fan et je ne suis fan de personne. Contrairement à la Juliette de mon père, je n’ai aucun dieu, aucune idole, je n’adore aucune royauté, divinité, célébrité. Même Eva Perón, je ne la vénère aucunement. Elle me poursuit, c’est tout, depuis que je suis à Buenos Aires. Elle me hante, je veux éclaircir son mystère, je prendrai le train pour aller à Los Toldos, là où elle est née, voir d’où elle vient. Je ferai ce pèlerinage qui me mènera aussi à Junín, cette ville où elle a vécu après la mort de son père et où elle s’est mariée avec Juan Perón. Sur les photos de Junín, il y a de la poussière et du bétail. Des rues en terre, comme certaines rues de Ville-Marie, au Témiscamingue, où, petite, j’allais en vacances à la ferme de ma grand-mère. Fin des années quarante, début des années cinquante. Ville-Marie, c’était un peu comme Los Toldos, et j’aurais pu être la petite sœur d’Eva. Sa petite sœur bâtarde. »

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