Témoignage : Enfants interdits de vol

La puck roule lentement pour nous

Vous vous souvenez peut-être de mon fils Adam. Il était dans la section Actualités de La Presse en juin 2016, portant le fameux chandail bleu-blanc-rouge du Canadien.

Non, il ne jouait pas pour le Tricolore. Adam, 6 ans à l’époque, a été repêché par la liste d’interdiction de vol du Canada. À chaque voyage, nous ne pouvions pas nous enregistrer en ligne, ce qui nous obligeait à nous rendre à l’aéroport plus tôt. Une fois, à l’étranger, nos passeports ont même été confisqués.

La situation a atteint son paroxysme en décembre 2015 quand Adam et moi étions en route pour la Classique hivernale Canadien-Bruins.

Puisque notre voyage semblait en prolongation, j’ai discrètement pris une photo de l’écran du bureau d’enregistrement, montrant Adam sur le banc des punitions.

J’ai tweeté sur la situation, des articles ont paru en anglais et en français, et tout a dérapé. Des centaines de familles ont communiqué avec nous, à propos de leurs enfants nés au Canada mais aussi d’adultes, qui sont touchés par ce problème.

Lorsque la liste d’interdiction de vol du Canada a été créée il y a 10 ans, des identifiants uniques, comme la date de naissance, le numéro de passeport ou le NAS, n’ont pas été utilisés pour vérifier l’identité des voyageurs. Si votre nom de famille est Mohamed, Graham, Veilleux, Matthews ou Hébert, vous êtes peut-être inscrit sur cette liste à cause d’une fausse correspondance de votre nom.

Certaines personnes diront peut-être que cet inconvénient est un petit prix à payer pour assurer la sécurité nationale. En tant qu’ancien agent de bord, je comprends. Cependant, je n’ai pas encore entendu d’argument convaincant pour poursuivre ce gaspillage de ressources financières et de sécurité.

En quoi contrôler l’identité de nourrissons, d’enfants d’âge préscolaire, d’anciens combattants, de membres des forces armées et d’autres Canadiens honnêtes nous aide-t-il à nous protéger ?

Les parents, déjà stressés en voyageant avec les enfants, sont très préoccupés. Que se passera-t-il lorsque nos enfants voyageront à l’âge adulte ? Que se passera-t-il si un « faux positif » est contrôlé dans un pays étranger ? Puisque le gouvernement refuse de divulguer les noms de la liste, doit-on changer leur nom et lequel devons-nous choisir ?

Alors, sans aucun financement, des parents ont lancé le groupe No Fly List Kids. Notre Coupe Stanley : la création d’un système de recours canadien pour éliminer les faux positifs, semblable à celui utilisé par les États-Unis depuis plus d’une décennie. Nous sommes restés apolitiques, car nous voulions une solution pour tous les Canadiens.

Lorsque le budget de 2017 a été déposé, nous pensions avoir obtenu le financement d’un système de recours, mais sans succès. Au lieu d’accrocher nos patins, nous avons approché tous les députés pour leur demander des lettres appuyant ce financement. Notre objectif de 25 lettres est rapidement passé à 220 lettres de soutien, soit les deux tiers du Parlement et provenant de tous les partis.

De nombreux députés nous ont défendus et ont posé des questions à la Chambre des communes. De nombreux éditoriaux de journaux nous ont appuyés et ils nous ont appris que cela ne se limitait pas aux enfants canadiens. Des étudiants de l’Université Western Ontario ont fait des recherches et ont estimé que le problème pourrait toucher jusqu’à 100 000 citoyens.

Un moment emblématique a été la Journée sur la Colline à Ottawa en novembre 2017. Nous n’oublierons jamais Bobby Rousseau, quatre fois champion avec le CH, parcourant les corridors du Parlement pour rencontrer des députés, défendre nos intérêts et présenter au gouvernement une pétition de soutien.

On nous a beaucoup aidé pour nos témoignages devant le Comité fédéral des finances, le Caucus fédéral et le Comité permanent de la sécurité publique et nationale. C’était touchant de voir des étrangers d’un bout à l’autre du Canada soutenir l’équipe des No Fly List Kids.

ÇA NE SENT PAS ENCORE LA COUPE

Lorsque le budget fédéral de 2018 a été déposé en février, nous avons appris que nous avions obtenu un financement de 81,4 millions de dollars. Mais ça ne sent pas la Coupe encore. Les fonctionnaires de la Sécurité publique affirment que le projet de loi C-59, qui vise à réorganiser la façon dont le Programme de protection des passagers fonctionne, doit être adopté cette année au Sénat avant que le système de recours puisse être créé.

Nos familles ont récemment rencontré le premier ministre Justin Trudeau. Il a été réceptif à nos commentaires. Les fonctionnaires nous ont dit qu’il s’agit d’une priorité. Nous demeurons donc prudents mais optimistes.

Le temps presse. À l’approche des élections fédérales d’octobre 2019, les activités gouvernementales s’immobiliseront, ainsi que le sort de ces 100 000 Canadiens.

Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout. Les familles et nos conseillers ont donné à nos enfants le bon exemple : si vous défendez ce qui est juste avec persistence et dignité, tout est possible.

Et dire que tout a commencé quand un petit garçon est allé voir un match de hockey avec son père. Pardonnez mon perronisme, mais c’était vraiment « la pointe de l’asperge » !

* Cosignataire de la lettre : Émilie Gascon-Léger, bénévole, No Fly List Kids

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.