Élections de mi-mandat aux états-unis

La démocratie américaine en péril ? 

De nombreux Américains voient leur pays comme la « plus grande démocratie du monde ». Pourtant, force est de constater que le système électoral américain a graduellement permis à une minorité d’électeurs de choisir non seulement le président, mais aussi la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants. 

Le choix du président par le collège électoral plutôt qu’au suffrage universel favorise les petits États ruraux, souvent conservateurs, aux dépens des États populeux et urbains. Cela a notamment permis à Donald Trump de remporter la présidence en 2016 même s’il a obtenu 3 millions de votes de moins qu’Hillary Clinton. 

Au Sénat, où chaque État élit deux représentants, le biais en faveur des États républicains moins peuplés est encore plus évident. Un électeur du Wyoming, par exemple, a le même poids électoral (et donc politique) qu’une soixantaine d’électeurs de la Californie. Aujourd’hui, les 51 sénateurs républicains représentent une population de 143 millions, alors que les 49 sénateurs démocrates en représentent 182 millions. Malgré l’opposition d’une majorité d’Américains, le Sénat a entériné la nomination du juge Kavanaugh à la Cour suprême dans ce qui était un vote essentiellement partisan. 

À la Chambre des représentants, les gouverneurs des États contrôlent largement le processus électoral, y compris pour les élections fédérales. À travers les années, on a assisté à une manipulation systématique des frontières de districts électoraux pour favoriser les candidats du parti au pouvoir (le fameux « gerrymandering »). Les républicains, qui détiennent la grande majorité des postes de gouverneurs, ont été particulièrement efficaces dans ces manœuvres. Selon la plupart des spécialistes, les démocrates devront aller chercher de 6 à 8 % de plus que les républicains dans le vote populaire pour espérer remporter une majorité de sièges à la Chambre des représentants. 

Dans les élections en cours, plusieurs États gouvernés par les républicains ont mis en place des mesures visant à empêcher ou rendre plus difficile l’exercice du droit de vote par les minorités, particulièrement les Noirs et les Latinos. 

En Géorgie, par exemple, où les élections s’annoncent très serrées, le secrétaire d’État Brian Kemp, qui est responsable du bon fonctionnement du processus électoral, et qui est aussi le candidat républicain au poste de gouverneur, tente systématiquement de limiter le droit de vote de la minorité noire, qui représente près de 30 % de la population de l’État. Malgré les poursuites judiciaires des démocrates et de l’American Civil Liberties Union (ACLU), jusqu’à 300 000 électeurs pourraient se voir exclus des listes électorales, et plusieurs autres feraient face à divers obstacles, y compris des bureaux de vote trop peu nombreux ou situés trop loin de leur lieu de résidence.

Quelle légitimité ? 

Si les républicains réussissent à rafler les deux chambres – ce qui semble peu probable pour le moment –, la légitimité démocratique des résultats et du processus électoral lui-même risquerait d’être remise en question et d’attiser la polarisation, en plus de provoquer la colère d’une partie importante de l’électorat. En même temps, le président Trump aura les coudées franches pour imposer un programme et des lois auxquels la majorité des Américains s’opposent, y compris la résiliation de l’Obamacare et d’autres programmes sociaux, la poursuite de la déréglementation dans plusieurs secteurs (environnement, finance, lois du travail, etc.), l’imposition de mesures fédérales pour limiter le droit de vote, une remise en question des droits des femmes et une politique internationale de plus en plus agressive et dangereuse. 

Ce résultat servira aussi à légitimer et renforcer les dérives autocratiques du président, notamment le sabotage de l’enquête Mueller et la politisation du système judiciaire et des services secrets. 

Par contre, si les démocrates remportent la Chambre et décrochent plusieurs postes au niveau des États, la marge de manœuvre législative du président et du Parti républicain sera plus limitée. Dans ce contexte, de nombreuses enquêtes sur la corruption, l’entrave à la justice et la collusion avec les Russes pourraient ponctuer l’année 2019. Dans la mesure où les élections en cours sont de plus en plus perçues comme un référendum sur le président, il reste à voir si les élus républicains, jusque-là largement fidèles à Trump, choisiront de se retourner contre le président. 

Les élections de mi-mandat ne régleront pas les failles structurelles du système électoral américain, mais pourraient soit accentuer les dérapages et la polarisation, soit initier une transition vers un mode électoral plus juste et transparent, et au bout du compte, vers une meilleure approximation de la démocratie.

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