Éditorial

Bienvenue aux dames

Quand on se remémore l’époque des « jokes de mononcs » et des remarques désobligeantes faites aux femmes, on se dit qu’on a fait beaucoup de progrès. Ces comportements déplacés font aujourd’hui l’objet de désapprobation sociale, au même titre que les sifflements et le harcèlement sexuel au travail.

Mais il suffit d’une visite sur les blogues et les réseaux sociaux pour réaliser que cette conduite n’a pas disparu : elle a simplement changé de forme, et de virulence.

La taverne a été remplacée par le web, tout simplement. Et à l’entrée, on souhaite bienvenue aux dames… pour mieux leur montrer la porte.

Ah ! Il y a certes quelques règles de bienséance dans ce vaste lieu de débauche. On ne laissera tout de même pas passer une image aussi crue qu’une femme qui allaite… mais on est moins scrupuleux avec l’abus de mots crus par contre, et avec les insultes à caractère sexuel.

On ne montrera pas une photo aussi explicite que la jeune fille brûlée au napalm courant nue au Viêtnam… mais on va laisser passer les attaques les plus scabreuses et dégradantes contre le corps des femmes.

L’internet est devenu le défouloir des misogynes. Le lieu où la violence contre les femmes s’exprime en toute impunité, où la logorrhée fielleuse des trolls sexistes se répand au quotidien. Une autre manifestation, possiblement, de la frustration de l’homme blanc qui perd ses privilèges dans un monde qui change.

La misogynie en ligne est ainsi devenue, en quelques années, un véritable problème de société. Un problème d’autant plus grave qu’il menace la liberté de parole des femmes.

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On l’a vu ces derniers jours, avec ces journalistes tombées au combat qu’évoquent aujourd’hui Michèle Ouimet, Judith Lussier et Geneviève Pettersen. On le voit avec celles qui se disent poussées à l’épuisement par le cyberharcèlement, Lili Boisvert et Marilyse Hamelin. Et on le voit avec toutes celles, nombreuses, qui s’accrochent de peine et de misère malgré une exaspération croissante, à La Presse et ailleurs.

Autant de voix qui cherchent à s’exprimer de plein droit, mais qui peinent à contrer les hordes de trolls qui les méprisent et les invectivent chaque jour, pour leur look et non pas pour leurs idées.

Facile pour les hommes, particulièrement les journalistes à la couenne dure, de balayer ces plaintes du revers de la main. Mais il suffit de s’attarder un tout petit peu à la quantité et au contenu de ce que les femmes reçoivent en plein visage pour comprendre qu’on est au-delà du simple ego froissé.

Toutes les études confirment d’ailleurs l’ampleur et la virulence du phénomène. Tout près de trois femmes sur quatre, selon l’ONU, ont déjà dû faire face à des violences en ligne…

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Ce problème, La Presse le prend très au sérieux. En plus d’une charte de modération et du blocage systématique des contrevenants, le journal s’appuie sur une netiquette pour purifier ses différentes plateformes numériques. Mais avec 50 000 commentaires par mois, ce travail laborieux a bien sûr ses limites.

C’est pourquoi le cybersexisme ne peut être combattu à coup de modérateurs et de règles de bonne conduite. Et il ne peut être abandonné aux Twitter et Facebook de ce monde, qui n’ont jamais consacré à cette question l’attention qu’elle commande.

Il faut donc aller plus loin. Il faut qu’une armée d’internautes se ligue contre ces harceleurs pour les mettre au ban. Il faut, en fait, que les hommes se joignent aux femmes pour que le combat contre la misogynie en ligne soit aussi important que celui qui vise le racisme et l’homophobie.

Comme l’écrit la professeure de Harvard Danielle Keats Citron dans Hate Crimes in Cyberspace, la cyberintimidation doit en effet être combattue collectivement, comme le fut le harcèlement sexuel au travail dans les années 70.

Les trolls doivent ainsi être dénoncés haut et fort. Ils doivent être signalés. Ils doivent être nommés et bloqués, et pas seulement par leurs victimes. Par les hommes aussi, qui doivent montrer leur désapprobation face à un comportement qui n’a pas lieu d’être dans l’immense place publique qu’est devenu le web.

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