Chronique 

Le guichet d’accès sans accès

Je vous parlais mercredi de Janie Bolduc, une jeune femme de Longueuil qui, à 39 semaines de grossesse, a perdu son amoureux, mort subitement. Après son accouchement, qui a eu lieu cinq jours après les funérailles, elle a demandé de l’aide à son CLSC. On lui a dit qu’il y avait six mois d’attente pour avoir un suivi en santé mentale. Comme elle n’était pas suicidaire, son cas n’était pas considéré comme prioritaire. Merci de patienter…

Il va de soi qu’on ne devrait jamais envoyer poireauter sur une liste d’attente pendant six mois une personne en grande détresse. Il va de soi que de tels délais sont inacceptables.

Un cas isolé ? J’avais posé la question lundi au CISSS de la Montérégie-Est, dont relève le CLSC Simonne-Monet-Chartrand qui assurait le suivi périnatal de Janie. Au moment de publier ma chronique, je n’avais toujours pas de réponse. Puis, finalement, au lendemain de la publication, le CISSS m’a envoyé un mea culpa. En substance, ce que l’on dit, c’est que le dossier de Janie Bolduc aurait dû être classé prioritaire et que des mesures seront prises afin d’éviter qu’une telle situation se reproduise.

S’il aurait dû être classé prioritaire, pourquoi ne l’a-t-il pas été ? Ce que je comprends des explications de Daniel Vincent, conseiller-cadre aux relations publiques, médiatiques et ministérielles du CISSS de la Montérégie-Est, c’est que le dossier de la jeune mère, qui était suivie en périnatalité par le CLSC, est tombé entre les mailles du filet.

« Cette dame n’a pas été référée à notre guichet d’accès. On lui a plutôt proposé de formuler elle-même une demande à l’accueil psychosocial du CLSC et on lui a mentionné que les délais pourraient être longs pour un suivi psychologique. »

Comme Janie n’était ni en état d’aller formuler une demande au CLSC ni en état d’attendre des mois pour recevoir de l’aide, elle s’est finalement débrouillée pour trouver une psychologue au privé qui acceptait de lui offrir un suivi à tarif réduit.

Or, les choses auraient dû se passer autrement, reconnaît le CISSS. Car des processus internes d’orientation entre les différents services sont prévus dans de tels cas. « Il aurait été souhaitable que cette dame soit directement référée à notre guichet d’accès par la personne qui assurait son suivi au programme SIPPE (Service intégré en périnatalité et en petite enfance). La lecture de l’article et des notes au dossier de Madame nous permet de croire que si cette référence avait été ainsi faite, le dossier aurait été priorisé au sein du programme de santé mentale et un suivi aurait été offert dans de courts délais. »

J’en déduis que le problème ici, ce n’était pas le guichet d’accès, mais bien l’accès au guichet d’accès. Le CISSS de la Montérégie-Est dit vouloir prendre des mesures pour prévenir d’autres cafouillages du même genre. « Afin d’éviter qu’une situation similaire se reproduise, des rappels périodiques auprès des différentes équipes de notre établissement quant aux mécanismes de références seront mis en place. »

Évidemment, pour Janie, qui se relève aujourd’hui d’une dépression, cette réponse arrive trop tard. Mais le seul fait de reconnaître les problèmes d’accès aux soins en santé mentale apparaît comme un bon début, souligne-t-elle. « Au moins, on n’est pas dans le déni… » 

C’est dans l’espoir de contribuer à une réelle prise de conscience que Janie Bolduc a tenu à témoigner. « Mais il faut plus d’actes que de paroles », dit-elle.

Affaire classée ? Pas vraiment. Ce serait rassurant de penser que l’histoire de Janie n’est qu’un cas isolé. Le fait est que, entre 2015 et 2017, l’accessibilité des services psychosociaux (ce qui comprend la psychologie et les services ambulatoires de première ligne en santé mentale) était faible ou préoccupante dans presque toutes les régions du Québec, selon un rapport récent de chercheurs de l’École de santé publique et de l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal. 

Quant à l’accessibilité aux services de santé mentale pour des patients ayant des problèmes plus complexes qui exigent des services spécialisés, elle est aussi très préoccupante, en dépit de certaines améliorations. « Il apparaît difficile pour les Québécois qui en ont besoin, qu’ils soient jeunes ou adultes, d’avoir accès rapidement à des services spécialisés de psychiatre dans les CISSS et CIUSSS du Québec », notent les chercheurs. L’exception qui confirme la règle se trouve au CIUSSS Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, le seul endroit où l’accessibilité est « relativement bonne » pour les patients adultes. Quant au CISSS de la Montérégie-Est, dont il était question dans ma chronique, c’est celui où les problèmes d’accessibilité sont les plus criants, selon les données compilées par les chercheurs.

Bref, j’aurais bien aimé vous dire que le cas de Janie n’est qu’un cas isolé de guichet d’accès sans accès. Mais il semble malheureusement très représentatif d’un système qui ne prend pas la santé mentale suffisamment au sérieux.

La ministre de la Santé et des Services sociaux Danielle McCann, qui reconnaît que la santé mentale est le parent pauvre du système, promet d’agir pour que cela change. Pour tous ceux qui souffrent en silence, se butent à des portes closes ou à un suivi inadéquat, il reste à espérer que cela se fera rapidement.

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