Opinion 

Le recours aux mères porteuses est un recul social

L’absence de règlements sur le remboursement des frais engagés par une mère porteuse a constitué, jusqu’à maintenant, un certain rempart contre le développement d’un marché de l’enfant au Canada. Ce rempart risque de tomber, Santé Canada se préparant à adopter de tels règlements pour promouvoir le recours aux mères porteuses sous la forme dite altruiste.

Le Canada se targue d’être un lieu où il fait bon vivre, parce qu’y sont respectées les valeurs de dignité humaine et d’équité, et préconisé le respect des droits de la personne. Qu’en est-il lorsqu’il s’agit du recours à des mères porteuses ? La dignité et les droits des femmes et des enfants sont alors en jeu.

Les Canadiennes ont lutté pour ne plus être confinées à la reproduction et au rôle de mère. Voilà que le gouvernement canadien veut institutionnaliser une pratique réduisant des femmes à une définition de reproductrices, en jugeant légitime qu’elles soient mises à la disposition de commanditaires pour porter un enfant qu’elles leur remettront. Les femmes ne devraient jamais être utilisées ainsi pour satisfaire le besoin d’enfant chez d’autres. Au Canada, on n’accepte plus qu’un homme s’approprie une femme pour s’assurer une descendance. Le recours à une mère porteuse est pourtant une version « moderne » de cette appropriation, la relation contractuelle permettant aux parents commanditaires de s’approprier le potentiel reproducteur d’une femme, fût-ce de façon temporaire.

Les femmes ont lutté pour que la grossesse et l’accouchement soient reconnus comme une expérience d’abord et avant tout humaine, ne pouvant être découpée ni réduite à une intervention médicale ou technique. Or, le recours aux mères porteuses s’inscrit dans une logique de découpage et d’anonymisation de cette expérience et requiert sa banalisation, tandis que les connaissances progressent sur les échanges mère/enfant in utero et leurs conséquences. Considérer cette expérience comme une simple étape de « production » est rétrograde.

La légitimation de cette pratique bafoue la dignité humaine et les droits des enfants. Le Canada ne tolère pas qu’un humain fasse l’objet d’une transaction. Pourquoi accepter que la naissance d’un enfant soit planifiée dans le cadre d’un contrat et fasse l’objet d’un échange ? 

Une pratique qui fait d’un enfant un « bien » que l’on veut, que l’on commande, dont on prend livraison et dont on peut effacer les origines maternelles contredit les progrès faits au Canada. L’enfant qui naît d’une mère porteuse est un orphelin dont on a planifié l’abandon, ce qui heurte la conscience dans une société qui place l’humain au-dessus de toute chosification.

Le gouvernement subit la pression de différents groupes d’intérêts et un pas de plus dans la légitimation de la pratique peut être perçu comme un geste d’ouverture. Il s’agit pourtant d’un recul social. Le désir d’enfant est noble mais n’est pas un droit. Il n’y a rien de tel qu’un droit à l’enfant.

Devant la difficulté ou l’impossibilité de se reproduire, on crée de plus en plus de souffrance en favorisant la recherche de solutions à tout prix. Il ne faut pas minimiser cette souffrance. Il faut mettre en cause le déploiement de moyens qui l’entretiennent ou l’accentuent tout en provoquant des reculs sociaux.

Nos efforts doivent s’inscrire dans la foulée des progrès réalisés en matière de dignité humaine et de droits de la personne. Ainsi, reconnaître aux couples homosexuels le droit d’adopter des enfants est une avancée sociale mettant fin à la discrimination et permettant à des enfants de trouver un foyer. Cependant, institutionnaliser le droit de passer une entente avec une femme pour qu’elle porte un enfant qu’elle remettra à d’autres à sa naissance est un recul social. Cette pratique est avilissante pour les femmes et ne respecte pas les droits des enfants.

La société peut offrir des possibilités de combler le désir d’être parent, en facilitant la prise en charge d’enfants qui en ont besoin et en facilitant l’exercice de la parentalité sous différentes formes. Voilà l’orientation à privilégier.

Il est illusoire de penser qu’en balisant la pratique, nous éviterons les dérives observées ailleurs. Les sciences sociales nous enseignent qu’une pratique ainsi avalisée deviendra plus fréquente et sera perçue comme une solution légitime, mettant en place les conditions de sa normalisation. Il est donc prévisible que ses conditions d’exercice évolueront progressivement jusqu’à lui permettre de devenir une activité essentiellement commerciale vidée de son sens le plus profond.

Avons-nous peur d’affirmer que les femmes ne peuvent être réduites à des reproductrices par une pratique que l’on enrobe du qualificatif d’altruiste ? Ne voulons-nous pas protéger nos enfants et qu’en aucun cas, un enfant puisse être issu d’une commande qui prévoit qu’il sera donné par la femme qui l’a porté, risque de ne pas connaître celle qui lui a donné la vie ou risque de ne pouvoir retracer ses origines maternelles ?

Qu’elle soit gratuite, compensée, rémunérée ou profitable, la pratique du recours aux mères porteuses va à l’encontre de valeurs canadiennes dont le respect a été chèrement acquis. La grossesse n’est pas une étape dans la production d’un être humain, elle est beaucoup plus que cela et ne devrait jamais faire l’objet d’un contrat.

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