Chronique

Les arbitres, en a-t-on vraiment besoin ?

Vous souvenez-vous de la dernière fois que vous avez louangé le travail d’un arbitre ?

Moi non plus. Pourtant, leur présence est essentielle au bon déroulement d’un match. Ils encadrent le jeu, jugent des performances, tiennent les tricheurs à l’écart. Par-dessus tout, ce sont des passionnés qui exercent ce métier parce qu’ils aiment leur sport.

Mais les arbitres sont aussi des humains. Et les humains commettent des erreurs.

Aux Jeux de Barcelone, en 1992, une juge de nage synchronisée a appuyé sur le mauvais bouton au moment d’entrer la note de Sylvie Fréchette. La Québécoise n’a pu profiter de sa victoire sur le podium. En 2010, au baseball, un arbitre a déclaré sauf un coureur qui aurait dû être le dernier retrait de la partie, privant le lanceur Armando Galarraga d’une partie parfaite.

Dans les cas extrêmes, des arbitres se laissent corrompre. En finale des Jeux de Séoul, le boxeur Roy Jones a atteint son adversaire sud-coréen en moyenne toutes les six secondes. Trois juges « achetés » l’ont quand même déclaré perdant. Un scénario semblable s’est reproduit aux Jeux de 2002, en patinage artistique. Cette fois, ce sont les Canadiens Jamie Salé et David Pelletier qui en ont fait les frais. En 2008, un arbitre de la NBA a été condamné à la prison pour avoir fait partie d’un réseau de paris sportifs.

Et si les arbitres étaient… des robots ? Serait-ce la fin de l’imperfection et de la corruption ?

Peut-être.

Je ne vois pas encore le jour où ça arrivera au niveau amateur, où l’accès à la technologie de pointe est limité. Mais dans les circuits professionnels, l’intelligence artificielle est déjà sur le point de mettre au chômage des officiels. Des chercheurs de l’Université d’Oxford ont conclu en 2013 qu’il y avait 98 % de chances que les tâches d’un arbitre humain soient automatisées. Sur 702 emplois étudiés, il arrivait au 19e rang des postes les plus susceptibles d’être remplacés par un robot.

Alors, les arbitres, en a-t-on vraiment besoin ? Survol de cinq sports dans lesquels la question se pose. 

Athlétisme

En 2019, il y a encore un humain qui tire un coup de pistolet au départ d’une course. C’est quoi, ce folklore ? Une harpiste avec ça ?

J’ai demandé à Marc Desjardins, directeur général de la Fédération d’athlétisme du Québec, de défendre l’indéfendable. « Est-ce qu’un ordinateur pourrait lancer la course ? Sûrement. Mais le starter a aussi un jugement à exercer. Il doit vérifier la position des athlètes. Les coureurs doivent être immobiles pour que le signal de départ soit donné. »

OK, je propose un compromis : on garde le starter, mais on lui enlève son pistolet.

Par contre, je ne céderai pas sur l’inutilité des commissaires de course, chargés de vérifier si les sprinteurs dépassent leur corridor. Des senseurs seraient plus efficaces. Je ne vois pas beaucoup d’avenir non plus pour ceux qui mesurent la distance des lancers. Leur tâche pourrait être robotisée « d’ici 10 ans », m’a indiqué l’officiel canadien David Weicker, membre de la commission technologique de la Fédération internationale.

Les résultats seraient plus précis. Et ça éviterait des accidents malheureux, comme lorsqu’un officiel allemand est mort sur la pelouse, en 2012, atteint au cou par un javelot…

Baseball

Y a-t-il un emploi dans le monde du sport dont l’avenir est plus incertain que celui d’entraîneur des Oilers d’Edmonton ? Oui. Arbitre au baseball. Surtout celui derrière le marbre, qui juge les balles et les prises. Même des joueurs souhaitent sa disparition.

« Si vous êtes le meilleur arbitre au monde et que vous jugez correctement 92 % des lancers sur 200, vous vous serez quand même trompé 16 fois », a souligné le lanceur Adam Ottavino au Denver Post.

Un robot pourrait évaluer les lancers. La technologie existe déjà. Des télédiffuseurs l’utilisent pendant les matchs. Les ligues majeures s’en servent pour évaluer les arbitres.

Stéphane Dupont, ex-arbitre au niveau international et directeur du programme d’excellence à Baseball Québec, pense que ce serait un faux pas de s’en remettre uniquement à l’intelligence artificielle. « Les arbitres ont leur style, ils mettent de la couleur dans un match. Ils font partie de la culture du baseball. Comme spectateur, j’aime ça quand un officiel prend une décision avec du panache. Je serais vraiment démotivé si tout était géré par des machines. »

Tennis

Devinette : combien d’officiels travaillent pendant la finale de la Coupe Rogers ?

Il y en a 19 !

Ce n’est pas une faute de frappe. Deux équipes de neuf juges de ligne se relaient toutes les 45 minutes. Plus l’arbitre en chef, qui est sur la chaise.

C’est appelé à changer rapidement. Depuis deux ans, le tournoi des espoirs de l’ATP, le Next Gen, sert de laboratoire. Le système Hawk-Eye y remplace les juges de ligne. Et tout le monde est satisfait. La même technologie peut s’appliquer à d’autres sports avec un terrain délimité, comme le badminton et le volleyball.

Natation

Vous trouvez qu’il y a trop d’officiels sur un terrain de tennis ? Allez faire un tour à votre piscine de quartier pendant une compétition de natation. Il y a plus de monde là au pied carré que sur les quais de Berri-UQAM après une interruption de service de deux heures.

« Il y a environ 60 officiels autour du bassin », explique Isabelle Ducharme, directrice générale de la Fédération de natation du Québec.

Pause.

Vous avez bien dit 60 ? « Oui. Juste pour les temps, on a un back-up du back-up du chronomètre. Ajoutez les officiels qui vérifient les virages, les autres sur le bord, ça grimpe vite. »

Son rêve ? Un parterre épuré, comme aux Championnats du monde. Les progrès technologiques en chronométrage ont permis récemment de réduire le nombre d’officiels à une vingtaine. « À mon avis, il est encore possible d’en enlever, estime Mme Ducharme. Lorsque vous regardez le Red Bull Crashed Ice à la télévision, vous ne voyez pas tous les officiels. On n’est pas obligé d’avoir tout le monde sur le bord de la piscine. »

Hockey

En janvier dernier, la Ligue nationale de hockey a annoncé une avancée technologique majeure : la rondelle et les patins des joueurs seront désormais dotés de puces électroniques. Tous les mouvements sur la glace seront enregistrés.

En théorie, il serait possible de transférer des tâches des officiels à des robots. Peut-être pas séparer deux joueurs dans une bagarre ou siffler une pénalité pour accrochage. Mais signaler les hors-jeu et les buts, certainement.

Pensez-y : si la technologie avait existé pendant la série Canadien-Nordiques, en 1987, Kerry Fraser n’aurait pas eu à juger si le but d’Alain Côté était bon. Ou pas.

Le contre- exemple de l’ultimate frisbee

L’ultimate frisbee a été créé sans arbitre, dans le but de promouvoir l’esprit sportif. Tout allait bien jusqu’au jour où les matchs ont commencé à attirer des spectateurs et des réseaux de télévision. « Les contestations duraient beaucoup trop longtemps », se souvient le président du Royal de Montréal, Jean-Lévy Champagne. « Dans les règles, la chicane doit être résolue par les joueurs en une minute. Mais des fois, ça prenait plus de temps. Même moi, quand je regardais mes matchs, je trouvais ça long. » Dans les circuits amateurs, le jeu se poursuit sans officiel. Mais dans la ligue du Royal, l’AUDL, il y a maintenant cinq arbitres par rencontre. « Ça accélère le jeu et ça permet aux spectateurs de mieux comprendre ce qui se passe, explique Jean-Lévy Champagne. Mais il y a des purs et durs qui préfèrent qu’il n’y ait pas d’arbitre. Le débat n’est pas réglé, on est en plein dedans. » Alors, les arbitres, en a-t-on vraiment besoin ? Peut-être encore un peu.

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