Éditorial : Réforme de l'aide sociale

Pénaliser la misère

C’est quelque chose qu’on ne peut pas dire de beaucoup de projets de loi : la réforme de l’aide sociale aura un impact direct sur la misère humaine.

Elle vise à la réduire, mais elle risque de l’aggraver à cause d’une fausse bonne idée, celle de pénaliser les nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale qui refusent une formation.

Le projet de loi exigerait que les nouveaux demandeurs participent au nouveau programme Objectif emploi. Pour les convaincre, on offrirait une prime mensuelle allant jusqu’à 260 $.

Cette carotte s’accompagnerait toutefois d’un bâton – ceux qui ne suivent pas la formation verraient leur chèque progressivement réduit.

Cette mesure incitative doit servir de poussée dans le dos pour aider les demandeurs. Mais dans certains cas, on risque tout simplement de les jeter par terre, ou même de les jeter à la rue. Ce risque ne doit pas être pris.

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Le projet de loi déposé par l’ex-ministre du Travail Sam Hamad ciblait les nouveaux demandeurs. Les jeunes (moins de 35 ans) comptent aujourd’hui pour la majorité d’entre eux.

Il ne leur proposait toutefois qu’une aide pour « l’intégration à l’emploi », comme si on voulait charrier le bétail humain vers les employeurs.

Son successeur François Blais a humanisé la réforme. Il a aboli la clause qui forçait un prestataire à accepter un emploi situé à 300 kilomètres ou moins de chez lui. Puis il a ajouté une formation scolaire et sociale pour les cas plus lourds. Ce programme vient avec la même prime que celui pour l’emploi.

Tout cela est excellent. Mais faut-il maintenir la menace de réduire le chèque ? Non, car ce n’est ni efficace ni juste.

Selon le ministre, les « études » démontrent que la menace est nécessaire. Or, il cite surtout des recherches d’Allemagne, des Pays-Bas et de pays nordiques, dont les conclusions sont difficiles à généraliser à notre régime.

M. Blais devrait plutôt s’intéresser à nos expériences passées. Il propose en effet une vieille solution… Après une période d’essai infructueuse, le Québec avait renoncé en 2002 aux pénalités. Le gouvernement Charest avait essayé de revenir à la charge en 2004, avant de reculer. Il faut adopter une « approche incitative », avait conclu le ministère de l’Emploi en 2006.

Il s’agit d’une solution simpliste à un problème complexe. Les pénalités présument en effet que les demandeurs manquent de volonté, et qu’on réussira à les convaincre avec un calcul coût-bénéfice. C’est peut-être parfois vrai. Mais d’autres cas sont beaucoup plus lourds. Par exemple, plus d’un nouveau demandeur sur trois avait un parent bénéficiaire de l’aide sociale. C’est dès la petite enfance qu’il faut intervenir pour les aider.

Et enfin, le ministre semble oublier qu’il existe déjà une pénalité : la vie avec l’aide sociale, avec un chèque mensuel de 623 $, plus une allocation de 103 $. Avec cette maigrelette somme, on survit plus qu’on ne vit. La réduire, ce serait faire basculer des gens de la pauvreté à l’indigence.

Quand il enseignait la philosophie, M. Blais défendait le revenu minimum garanti, au nom de la dignité humaine. Il montre aujourd’hui beaucoup d’entêtement pour la refuser.

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