Jacqueline Desmarais 1928-2018

L’ange protecteur des jeunes

Deux critères ont toujours guidé Jacqueline Desmarais dans le choix des artistes qu’elle a aidés au cours de sa vie. Le premier était évidemment le talent. Pour le reconnaître, elle faisait confiance à son instinct et à son infaillible flair. N’oublions pas que la mécène possédait une vaste culture musicale.

Le second critère était la jeunesse. Pour elle, il importait que l’aide qu’elle procurait aux artistes se fasse au moment où ces derniers s’apprêtaient à déployer leurs ailes. Pour le violoncelliste Stéphane Tétreault, l’un des nombreux musiciens ayant bénéficié de l’aide de Jacqueline Desmarais, c’est exactement comme cela que les choses se sont déroulées.

« J’avais 17 ans et Radio-Canada avait réalisé un reportage sur moi lors d’un concert avec I Musici dirigé par Maxim Vengerov, raconte le musicien. C’était en octobre 2010. Jacqueline Desmarais et son mari étaient en voyage, mais ils regardaient Le téléjournal. Elle m’a vu et un déclic s’est fait. »

Dès le lendemain, Jacqueline Desmarais téléphone à sa précieuse assistante, Margot Provencher, et lui dit : « J’ai vu un jeune musicien extraordinaire à la télévision. Il faut que tu me le trouves. » Coup de chance, le bras droit de Mme Desmarais avait assisté la veille au concert mettant en vedette le jeune Tétreault.

Une invitation impromptue est lancée à Stéphane Tétreault, celle de venir se produire au pavillon de musique que Jacqueline Desmarais a fait construire au domaine de la famille, à Sagard. Cet espace, situé non loin de la résidence, peut accueillir un petit nombre d’invités. Un piano à queue s’y trouve, qu’on utilise pour accompagner des interprètes ou des musiciens solistes.

« On m’a invité à venir me produire le 23 décembre, se souvient Stéphane Tétreault. Chaque année pour Noël, Mme Desmarais organisait un récital dans ce lieu. J’ai choisi de présenter la Sonate pour violoncelle no 1 de Brahms et les Variations sur un thème rococo de Tchaïkovski. »

« Quelques minutes avant de jouer, j’avais un trac fou. J’étais très intimidé d’être là. Elle est entrée dans le pavillon toute souriante et elle m’a dit : “Bonjour ! Je suis Jacqueline Desmarais et j’ai très hâte de vous entendre !” Soudainement, toute ma nervosité est tombée. »

— Stéphane Tétreault

Le courant passe entre Jacqueline Desmarais et le jeune musicien. Ils se voient sur une base régulière. Qu’importe les 65 ans qui les séparent, une grande complicité se forge entre eux. « Chaque fois qu’on nous voyait au concert, on était en train de rigoler », dit Stéphane Tétreault.

Stradivarius

À cette époque, Stéphane Tétreault joue sur un violoncelle britannique datant de la fin du XVIIIe siècle. « C’était un excellent instrument. Mais Mme Desmarais avait compris qu’un très bon instrument, placé entre les bonnes mains, fait faire un grand bond à un musicien. Elle m’a dit de commencer à regarder dans le marché si un violoncelle intéressant s’y trouvait. »

Le hasard fait qu’au même moment, un stradivarius ayant appartenu à Bernard Greenhouse est à vendre à la suite du décès du grand musicien. Des essais sur cet instrument vieux de 310 ans et nommé « Comtesse de Stainlein » ont lieu à Boston. Stéphane Tétreault se rend également à New York et à Londres afin d’essayer d’autres violoncelles. Finalement, une audition à l’aveugle est organisée à Montréal pour le choix définitif.

Quelques personnes, dont Mme Desmarais, sont présentes pour cette audition qui se déroule dans deux salles différentes de la métropole. En conclusion, il apparaît évident que le stradivarius se révèle le meilleur choix. Le coût de 6 millions de dollars pour l’acquisition de l’instrument est entièrement assumé par la mécène.

Stéphane Tétreault adorait discuter de musique avec Jacqueline Desmarais. « Ses goûts étaient variés. Elle aimait l’opéra, la musique classique, le jazz… Elle aimait la musique romantique, Tchaïkovski, Mahler, Wagner… Elle avait un excellent jugement. Ce n’est pas quelqu’un qui a seulement mis son argent au service des arts et de la musique. Elle connaissait cela. »

Et avec ses protégés qui la rendaient si fière, pouvait-elle être critique ? « Oui, mais c’était toujours positif, dit Stéphane Tétreault en souriant tendrement. Elle pouvait me dire : “La finale de tel mouvement dans tel concerto était particulièrement réussie.” Et moi je lui disais : “Oui, mais vous m’avez dit exactement la même chose la dernière fois.” Elle ajoutait alors : “Oui, mais là, c’était encore mieux.” »

Stéphane Tétreault évoque ces souvenirs les yeux embués. Le départ de celle qui a joué le rôle d’ange protecteur dans sa carrière le rend triste. « Je lui ai parlé pour la dernière fois en décembre, dit-il. Je rentrais de la tournée européenne avec l’Orchestre Métropolitain. Elle était au courant du triomphe que nous avions eu. Cela la rendait heureuse. »

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