Chronique

Le devoir de ne pas importuner

Fiston avait à peine 3 mois. Nous étions en voyage à Venise pendant le Festival du film, dont le jury était présidé par Catherine Deneuve. Nous marchions dans une ruelle quasi déserte, Fiston dans sa poussette. Qui se dirige droit vers nous, accompagnée d’un valet portant ses emplettes ? Denise Bombardier. Mais non… Catherine Deneuve !

La Catherine de Si c’était à refaire, de L’homme à femmes et de Ça n’arrive qu’aux autres, la Mylène des Créatures, la Séverine de Belle de jour, la Marion des Prédateurs, la Sarah de L’agression, la Lili du Lieu du crime, la Louise de La fille du RER, la Marion du Dernier métro, la France de Drôle d’endroit pour une rencontre, la Justine du Vice et la vertu, la Linda de La grande bourgeoise, la Cécile des Temps qui changent, la Carole de Repulsion (de Roman Polanski). Une filmographie aux titres évocateurs…

Cette Catherine Deneuve là. Elle s’est arrêtée devant la poussette de Fiston, elle s’est penchée sur lui, et elle lui a souri. Je me suis dit que ça lui ferait une belle anecdote à raconter pour ses vieux jours.

Fiston aura 12 ans cette année. Il sera bientôt temps d’avoir avec lui, comme je l’ai eue avec son frère aîné, la fameuse conversation sur le consentement, le respect, la dignité dans les rapports, sexuels et autres. Peut-être sera-t-il question de Catherine Deneuve ?

La légendaire actrice est cosignataire, à l’instar de 100 femmes françaises, d’une lettre publiée cette semaine dans le quotidien Le Monde, qui dénonce le soi-disant puritanisme du mouvement #metoo.

Les signataires y revendiquent la « liberté d’importuner ». Elles regrettent notamment qu’un homme ne puisse plus tenter « de voler un baiser », envoyer « des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l’attirance [n’est] pas réciproque », ou encore se « frotter » sur des passagères dans le métro sans qu’on en fasse tout un plat. Je résume, mais je ne caricature malheureusement pas.

La question se pose : à quoi bon tenter d’inculquer à mes garçons l’importance d’un consentement libre et éclairé lorsque des femmes d’influence estiment que s’assurer de l’aval d’une femme avant de lui plaquer les lèvres sur la bouche, lui envoyer un « dick pic » ou se masturber sur sa cuisse dans les transports en commun relève du puritanisme ? La réponse est simple : parce qu’elles ont tort.

On m’accusera sans doute, et non sans raison, de mansplaining. Je l’assume, je persiste et je signe. 

Il ne suffit pas qu’une femme dise que le féminisme est obsolète, qu’une musulmane déclare que l’islamophobie est une vue de l’esprit ou qu’un homosexuel prétende que l’homophobie n’existe plus pour qu’ils aient aussitôt raison.

Il est d’autant plus ironique de voir des Françaises s’insurger contre les dérives d’une prétendue « chasse à l’homme » lorsque l’on constate que les Français semblent avoir été quasi épargnés par le mouvement #moiaussi (à quelques exceptions près). À croire que le mononcle libidineux est une espèce en voie d’extinction hors des terres d’Amérique du Nord…

Personne n’a dit, comme l’écrivent d’emblée les signataires de cette lettre étonnante, que « la galanterie [est] une agression machiste ». Ni au Québec, ni en France, ni ailleurs, personne n’a prétendu sérieusement que tous les hommes étaient des porcs ou des violeurs en puissance. Je ne l’ai entendu que chez ceux et celles qui reprochent aux « bien-pensants » (la branche radicale de la rectitude politique, semble-t-il) de le déclarer.

Le harcèlement sexuel n’a rien à voir avec la « drague ». Une femme qui, marchant dans la rue, se fait siffler trois fois pendant que l’on s’autorise à des commentaires grivois sur son arrière-train peut-elle réclamer le droit de ne pas être importunée ?

Une agression sexuelle ne se limite pas au viol dans une ruelle. Une femme qui se fait inopinément masser les seins par un employeur peut-elle espérer travailler en paix sans brimer le droit inaliénable d’un homme d’exprimer librement son désir à deux mains ?

« Nous sommes aujourd’hui suffisamment averties pour admettre que la pulsion sexuelle est par nature offensive et sauvage, mais nous sommes aussi suffisamment clairvoyantes pour ne pas confondre drague maladroite et agression sexuelle », écrivent les signataires qui, s’agissant des agressions sexuelles, parlent d’« accidents qui peuvent toucher le corps d’une femme ». Un peu plus, et on jurerait qu’elles en minimisent l’impact…

Absent de ce manifeste aux relents antiféministes –  où pullulent les clichés mille fois rabâchés sur les féministes qui nourrissent « une haine des hommes et de la sexualité » – est le constat, pourtant évident, que l’égalité des sexes est loin d’être acquise.

Cette semaine, on apprenait que l’actrice Michelle Williams avait été payée moins de 1000 $ pour le tournage de nouvelles scènes d’un film de Ridley Scott (après le congédiement de Kevin Spacey pour des allégations d’inconduite sexuelle). Pour le même tournage, l’acteur Mark Wahlberg a gagné 1,5 million.

Toutes les femmes n’ont pas, comme ces signataires (auteures, psychologues, journalistes, etc.), des situations enviables et privilégiées. Toutes n’ont pas le loisir de refuser les avances insistantes d’un employeur ou d’un collègue sans en craindre les contrecoups. Elles parlent pourtant de la nécessité pour les femmes de ne pas se laisser intimider ou culpabiliser… en plaignant leurs intimidateurs !

Je comprends bien sûr ces femmes de ne pas vouloir être perçues comme des victimes. Mais elles font fi, avec un aveuglement sidérant, des rapports de forces inhérents aux relations hommes-femmes, aujourd’hui comme hier. Les sociétés occidentales sont des patriarcats bien ancrés depuis des siècles. À l’évidence, certaines femmes ont intégré, malgré elles sans doute, les diktats de ces sociétés patriarcales.

Plusieurs films récents, campés dans les années 70, nous rappellent le chemin parcouru par les femmes depuis un demi-siècle (je pense notamment à Battle of the Sexes, ou encore The Post). Mais le machisme et ses mécanismes n’ont pas disparu pour autant. Il n’est pas nécessaire d’être une femme pour le constater.

« En face, les hommes sont sommés de battre leur coulpe et de dénicher, au fin fond de leur conscience rétrospective, un “comportement déplacé” qu’ils auraient pu avoir voici 10, 20 ou 30 ans, et dont ils devraient se repentir », écrivent encore les signataires. Et si les hommes profitaient justement du mouvement #metoo pour faire leur examen de conscience, plutôt que de continuer à « draguer maladroitement » ou d’agresser impunément ? Serait-ce si grave ? Si puritain ?

Ce que je souhaite que mes fils retiennent du mouvement #metoo ? La définition du mot « importuner » : causer du tort à une personne en se montrant désagréable, ennuyeux ou dérangeant. Je n’ai jamais rencontré une femme qui trouvait ça séduisant. À l’exception de Catherine Deneuve.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.