Chronique

Ce que l’on perd

Je vous racontais en janvier l’histoire de Benjamin, 10 ans, autiste et sans école.

Autiste non verbal avec une déficience intellectuelle, Benjamin avait été suspendu de l’école spécialisée qu’il fréquentait depuis quatre ans. Trop agressif, disait-on. Même avec un ratio d’un pour un, le soutien de plusieurs professionnels, une salle multisensorielle, une piscine et une salle de motricité, l’école n’y arrivait pas.

Si l’école spécialisée, avec toutes les ressources dont elle dispose, n’y arrive pas, qui d’autre pourrait y arriver ?, se demandaient ses parents. Inadmissible, me disaient l’Office des personnes handicapées du Québec, Autisme Montréal et la Fédération québécoise de l’autisme. Même si, en principe, toute personne handicapée a le droit d’être scolarisée jusqu’à 21 ans, un trop grand nombre d’enfants sont exclus de l’école, constataient-ils avec inquiétude.

Comme solution de rechange, on a proposé à la famille de Benjamin l’école à la maison. Cinq petites heures par semaine, à raison d’une heure par jour. Autant dire rien du tout…

Les parents de Benjamin, déjà essoufflés, se sont sentis abandonnés par le système scolaire. Sa mère, Sophie, policière au SPVM, s’est retrouvée en arrêt de travail. À bout de ressources, son conjoint et elle ont remué ciel et terre pour essayer de trouver une solution. Allaient-ils devoir se résigner à placer leur enfant ?

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Une saison a passé. Nous voilà en avril, mois de l’autisme. J’aurais aimé vous dire que tout est rentré dans l’ordre. Mais ce serait mentir.

Benjamin se porte très bien, mais il n’est toujours pas à l’école. Sa mère a écrit un nombre incalculable de lettres pour tenter d’obtenir les services les mieux adaptés aux besoins de son fils. Ses lettres restent parfois sans réponse.

Si l’école spécialisée ne peut offrir qu’une heure par jour, que faire ? Elle s’est tournée vers le centre de réadaptation (CRDITED). Mais le mandat de ces centres n’est pas de se substituer à l’école à laquelle tous les enfants ont droit.

« Des enfants non éducables, pour moi, ça n’existe pas », me dit Claude Belley, directeur général de la Fédération québécoise des CRDITED. Il y a toujours une solution, insiste-t-il.

Le centre de réadaptation n’offre aucune prise en charge de jour, à part le placement, une solution radicale qui ne serait pas dans l’intérêt supérieur de Benjamin. Une voie que certaines familles finissent parfois par emprunter par dépit, quand leur enfant est exclu de l’école, observe Claude Belley. « Quand on jette l’éponge, l’enfant retourne à la maison. Et là, c’est la famille qui n’est plus capable. Elle va demander un placement de l’enfant, ce qu’elle n’aurait pas fait normalement. » Une spirale que l’on peut prévenir, dit-il. « Il faut casser ça rapidement pour éviter de se retrouver dans cette situation. C’est possible de le faire. »

Sophie aimerait mieux ne pas placer son fils. Mais pour le garder à la maison, la famille a besoin d’un soutien accru. Elle s’est tournée vers son CLSC dans l’espoir d’obtenir davantage de services de maintien à domicile. En vain jusqu’à maintenant.

L’hôpital ? Inutile d’hospitaliser Benjamin, puisqu’il va bien à la maison.

Alors que faire ? Sophie a déposé une plainte à la Commission des droits de la personne. Mais c’est un processus qui peut prendre des mois…

La Commission scolaire de Saint-Hyacinthe, dont relève l’école René-Saint-Pierre fréquentée par Benjamin, assure qu’elle est déterminée à trouver une solution à ce cas « complexe ». « Les intervenants sont clairement mobilisés dans le dossier », me dit Hélène Dumais, porte-parole de la commission scolaire. « Les gens travaillent de bonne foi pour trouver une solution qui soit dans le bien-être du jeune. » Mais en raison du litige qui oppose l’école à la famille, on ne peut en dire davantage.

En attendant, la famille de Benjamin fait face à ce que Sophie appelle un « trou de service ». Grâce à l’aide précieuse de la maison de répit l’Intermède, la famille a pu éviter le naufrage. Mais ce service de dépannage ne peut se substituer à l’école. Pour pouvoir reprendre son travail, pour permettre à Benjamin et à toute la famille de retrouver un certain équilibre, Sophie a dû embaucher une éducatrice spécialisée à la maison. Afin d’offrir à son fils tous ces services qu’il n’obtient plus à l’école spécialisée, Sophie aimerait bien disposer de la subvention qui a été versée à l’école en début d’année scolaire par le ministère de l’Éducation. Mais ça ne fonctionne pas comme ça. Le calcul du financement pour une commission scolaire est déterminé par la déclaration des effectifs scolaires au 30 septembre chaque année. Même si un élève quitte l’école en cours d’année, la subvention reste à l’école. Et les parents doivent se débrouiller par leurs propres moyens.

À voir cette mère se battre au nom de son fils, on a l’impression que l’État lui-même la pousse à placer son enfant. Une solution qui coûterait finalement plus cher en fonds publics que tout ce que la famille réclame pour que cet enfant ait le même droit à l’école que n’importe quel autre enfant.

En ces temps austères, certains diront que l’État n’a pas les moyens de s’occuper d’enfants comme Benjamin. Pensez plutôt à ce que l’on perd – en argent, mais surtout en humanité – en refusant de s’en occuper.

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