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L’UPAC mène une dizaine d'enquêtes au MTQ

La sous-ministre des Transports a eu beau défendre haut et fort la gestion du Ministère en commission parlementaire, hier, l’Unité permanente anticorruption (UPAC) a ciblé une dizaine de dossiers qui font actuellement l’objet d’une enquête, a appris La Presse.

Il a été impossible de connaître la nature exacte de ces enquêtes, que la source proche des dossiers a qualifiées d’actives. Mais rappelons que le ministère des Transports (MTQ) consacre des milliards annuellement au réseau routier québécois : des contrats de réfection, d’amélioration et de développement du réseau, qui sont précédés par des études ainsi que par des plans et devis. Pour la période de 2016-2018, 4,7 milliards de dollars d’investissements sont prévus.

Les enquêtes en cours ne toucheraient toutefois pas les deux plaintes qui ont été déposées depuis deux ans au sujet d’irrégularités dans l’attribution de contrats et qui soulèvent des soupçons de corruption, comme le révélait La Presse la semaine dernière. Outre une rencontre initiale avec les plaignants, aucune autre démarche de cueillette de renseignements n’a été faite auprès d’eux ; l’UPAC y voyait surtout des problèmes d’ordre administratif, avaient souligné des sources, dont une au sein de la police.

L’information concernant une dizaine d’enquêtes surgit alors qu’au sein de l’UPAC, on fait montre d’une certaine irritation face à la crise qui s’abat sur le ministère des Transports (MTQ) à la suite des déclarations de l’ancien ministre Robert Poëti au magazine L’actualité. L’image de l’UPAC est écorchée au passage, et surtout son indépendance d’action face au plus gros donneur d’ouvrage du gouvernement, puisque les deux organisations sont perçues comme des partenaires, a-t-on mentionné à La Presse.

À l’UPAC, on refusait hier de confirmer ou d’infirmer qu’il puisse y avoir une dizaine d’enquêtes concernant le MTQ, rappelant que ce sont des informations confidentielles.

RÉACTION LENTE

Chose certaine, ni le MTQ ni le gouvernement libéral n’ont montré d’empressement à alerter l’UPAC lorsqu’ils ont été mis au parfum d’un potentiel de problèmes. Ainsi, ce n’est que le 10 mai que le MTQ a transmis une clé USB à l’UPAC, a confirmé Anne-Frédérick Laurence de l’UPAC.

Cette clé USB a été préparée par la consultante embauchée par l’ex-ministre Poëti, Annie Trudel, pour détecter notamment les situations pouvant compromettre l’intégrité du processus d’adjudication des contrats au MTQ. Mme Trudel avait remis cette clé au chef de cabinet du ministre des Transports presque un mois auparavant, soit au moment de son départ. Le 10 mai, La Presse talonnait le MTQ à propos des plaintes émanant de l’interne.

Annie Trudel a confirmé hier par courriel à La Presse avoir d’abord alerté l’UPAC, puis le cabinet Daoust. 

« Il a été clair dès le début de mon mandat avec M. Poëti que je devais transmettre au fur et à mesure, aux autorités compétentes, toutes les informations concernant des dossiers que je jugeais pertinents d’enquêter. Ce que j’ai fait avec l’UPAC. »

— Annie Trudel, consultante embauchée par l’ex-ministre Poëti

Mis sur la défensive, le ministre des Transports, Jacques Daoust, a affirmé avoir informé l’UPAC de possibles irrégularités. À l’UPAC, Mme Laurence a indiqué que seule la lettre de Robert Poëti à M. Daoust, lui exposant ses inquiétudes, avait été transmise vers midi.

INTERROGATOIRE SERRÉ

Quelques heures plus tard, la Commission de l’administration publique avait une séance de travail au cours de laquelle la sous-ministre des Transports, Dominique Savoie, a passé un mauvais quart d’heure. Elle a dû expliquer les nombreuses allégations d’irrégularités devant les députés.

Et ses réponses ne les ont manifestement pas satisfaits.

Mme Savoie a minimisé les anomalies découvertes dans son ministère pendant le mandat de Robert Poëti. Elle dit avoir pris connaissance des grandes lignes de la vérification menée par la consultante externe Annie Trudel, mais que cet audit n’avait mis au jour aucun stratagème criminel.

« Je vous invite à faire la différence entre peut-être certains cas d’insatisfaction administrative versus les probabilités d’actes criminels, a-t-elle déclaré aux parlementaires. Dans bien des cas, des gens mélangent parfois si ça peut être grave ou pas grave. »

La séance a permis de découvrir qu’un rapport d’audit sur les pratiques du MTQ, daté de décembre 2014, présentait des différences avec le rapport que le gouvernement Couillard a déposé à l’Assemblée nationale en matinée. Le député libéral Guy Ouellette s’est dit « très troublé » que le Ministère fournisse ainsi deux versions d’un même document aux élus.

« On a beaucoup d’interrogations, beaucoup de questions sans réponses, a renchéri le député libéral de Trois-Rivières, Jean-Denis Girard. On a eu des réponses, oui, mais peut-être qu’elles ne sont pas à la satisfaction des élus ici autour de la table. »

Tôt hier matin, les élus du Parti libéral qui siègent à la Commission de l’administration publique ont eu une rencontre au bureau du whip en présence d’un représentant du cabinet du premier ministre, a appris La Presse. Ils ont été « sensibilisés » à l’importance de ne pas mettre le gouvernement dans l’embarras. Mais ces recommandations ont vraisemblablement été écartées, puisque les députés du PLQ ont interrogé avec vigueur la sous-ministre Savoie.

INQUIÉTUDES

Dans une lettre à son successeur, Jacques Daoust, M. Poëti dit avoir découvert l’existence de nombreuses « irrégularités » et « situations anormales ». Il écrit avoir posé plusieurs questions à Mme Savoie, mais que celle-ci a « étiré le temps à outrance » et ne lui avait jamais répondu au moment de son éviction du cabinet Couillard.

« J’ai vu quelqu’un qui, de toute évidence, ne reconnaissait pas l’autorité de son ministre. Qui, consciemment et sciemment, refusait de mettre en œuvre les réformes que le ministre demandait. »

— Éric Caire, député de la Coalition avenir Québec

La députée du Parti québécois Martine Ouellet a reproché aux hauts fonctionnaires du MTQ de « banaliser » des problèmes de gestion.

« Clairement, il y avait de la part de M. Poëti des inquiétudes, des inquiétudes qui ont été confirmées par le rapport que nous avons reçu, a-t-elle dit. […] Et encore aujourd’hui, Mme Savoie s’est obstinée à dire : “Non, ce n’était pas nécessaire, j’étais contre cette mesure-là.” »

Au cours d’une période de questions houleuse à l’Assemblée nationale, le premier ministre Philippe Couillard a dit souhaiter que la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, se mêle du dossier.

« Les actions ne commencent pas aujourd’hui, les actions ont commencé, a dit M. Couillard. Le ministère des Transports […] mène des actions qui visent précisément à s’occuper de l’aspect administratif des choses. Quant à l’aspect potentiellement criminel, je répète, l’UPAC a été déjà saisie de tous les documents. »

M. Poëti, lui, estime avoir manqué de temps pour amorcer les changements qui s’imposaient dans le processus administratif. Il s’est dit convaincu que le gouvernement libéral agirait pour répondre aux problèmes qu’il a mis au jour.

« J’ai confiance que Jacques [Daoust] va continuer le travail, a dit M. Poëti. Il avait besoin de cette information. Il y a quand même deux ans de travail qui ont été faits là. Je pense qu’il a en main, aujourd’hui, [le nécessaire pour] être capable de continuer à corriger s’il y a des erreurs administratives. »

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