Chronique

Obama piano piano

Pour faire un grand discours, il faut un grand orateur et une grande occasion. Il manquait cette deuxième condition, hier à Montréal, pour Barack Obama.

Oh, ce ne fut pas mauvais, bien entendu. C’est toujours au moins bon. L’espoir, trame de fond de son engagement politique, présidait à toute sa réflexion. Chaque énumération de faits inquiétants était suivie d’une phrase commençant par : « la bonne nouvelle, c’est que… » La perspective historique profonde, les idées généreuses, la largeur de vue, tout était là, comme d’habitude.

Mais le feu des grands jours n’y était pas, car l’occasion ne s’y prêtait pas. Ou plutôt, l’occasion est là, mais le 44e président américain la repousse. Il n’ira pas sur les tribunes d’un pays étranger pour attaquer Donald Trump.

Il y eut quelques allusions évidentes : l’importance des alliances internationales bâties après la Seconde Guerre mondiale pour la paix et la prospérité ; la lutte contre les changements climatiques ; la répartition de la richesse… L’idée que « le futur n’appartient pas aux hommes forts ».

Mais pas question d’attaquer le président Trump de front. Ce qui nous a valu un discours irréprochable, mais plutôt plat, pour peu qu’on l’ait vu à l’œuvre un peu depuis huit, dix ans.

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C’est une tradition bien établie pour les anciens présidents de ne pas se mêler de la politique de leur successeur. Les campagnes électorales sont brutales, mais une fois l’affrontement passé, on dépose les armes. Entre les présidents et les anciens présidents, la réserve est de mise. Il ne convient pas d’utiliser son ancien poste, les informations obtenues, sa popularité pour miner la présidence du successeur.

Sauf que ce pacte n’est pas à sens unique. Le nouveau président aussi est censé faire preuve de réserve dans ses commentaires sur l’ancien président. Même s’il a combattu son administration férocement.

Or, cette partie du pacte n’est pas remplie par Donald Trump. Entre autres attaques, il a accusé sans la moindre preuve (et en fait la police fédérale l’a nié) Barack Obama d’avoir fait faire de l’écoute électronique à ses dépens.

Quant aux politiques, le président Trump s’emploie à défaire des politiques les plus chères de l’administration Obama. Le retrait de l’accord de Paris offrait une occasion superbe. Barack Obama y est allé piano piano.

Une administration américaine peut bien se retirer temporairement de l’accord, ça ne changera rien, a-t-il dit. Et puis : déjà avant cet accord, les entreprises américaines avaient entrepris un virage qui rendait possible et crédible cette entente. Et les manufacturiers d’automobiles devront respecter des normes d’émission sévères s’ils veulent encore vendre des voitures en Californie « même si elles ne sont pas aussi rigoureusement promues par l’administration actuelle à la Maison-Blanche ». Il y eut des rires dans la salle devant cet euphémisme gigantesque.

Cette admirable retenue, ce refus de tomber au niveau de Donald Trump sont sans doute admirables.

Mais d’une part, ça enlève pas mal de sel à la prestation. Et d’autre part, sur le fond, jusqu’à quand va-t-il se faire attaquer de manière déloyale sans riposter un peu vigoureusement ? Je veux dire, autrement que par communiqué ?

Sa dignité ne sera pas entachée si c’est de la légitime défense…

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Bien entendu, son discours lui-même est un plaidoyer anti-Trump. Le vide laissé par les États-Unis s’ils se retirent des organisations où ils exercent du leadership sera comblé par d’autres, dit-il. Les Chinois, notamment. Parler de filet de sécurité sociale, de meilleur salaire pour les profs, du danger du repli sur soi, de la nécessité d’une presse indépendante, c’est déjà contredire Trump.

Peut-être son message consiste-t-il à répéter partout : il n’est pas les États-Unis, il n’est pas nous et je vais vous le prouver.

Et au fond, à en juger par la réception, il ne s’agissait pas tant d’aller écouter un discours que d’aller voir et applaudir un homme.

Un homme qui n’a peut-être pas son rang au sommet de la liste des plus grands présidents américains, mais qui sort du lot de ses contemporains par l’extraordinaire dignité et la profondeur de vue qu’il a injectées à la fonction. Un homme qui a voulu incarner le progrès social et restaurer une certaine grandeur dans le débat public.

Il n’en passe pas tant en ville, alors sans doute, ça valait la peine d’aller lui dire « merci » et « on s’ennuie »…

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