RÉFORME DU RÉSEAU DE LA SANTÉ

Une journée à l’hôpital avec un omnipraticien

Depuis que le ministre Gaétan Barrette a déposé le projet de loi 20, le travail des omnipraticiens est au cœur du débat. La Presse en a suivi un, le Dr Claude Arsenault, pendant une journée. Une rare incursion dans le quotidien d’un hôpital. 

8 h 55

Le Dr Arsenault arrive d’un pas déterminé à l’hôpital Pierre-Boucher, à Longueuil, pour sa quatorzième journée de travail consécutive. Il en fera 17 en tout. Trois médecins s’occupent des cas qui arrivent aux urgences. Lui et huit collègues prennent en charge les personnes qu’on décide d’hospitaliser. « Si la loi 20 passe telle qu’elle est, ça va être le chaos ! C’est toute la médecine familiale qui va s’effondrer. Ça va prendre 15 à 20 ans à la reconstruire ! », s’exclame-t-il d’une voix puissante.

9 h

La journée démarre sur les chapeaux de roue. Le médecin va aux admissions pour prendre la liste des patients à voir. La tâche est colossale : il doit en voir 30. La journée moyenne est de 25 patients. « C’est le zoo, ici ! Cinquante patients dans le débordement, une quarantaine en isolation… dans le corridor ! L’influenza a frappé fort. Je n’ai jamais vu ça en 33 ans de carrière ! »

9 h 01

Le Dr Arsenault s’assoit aux urgences et consulte son premier dossier. « Ça prend de 10 à 15 minutes pour tout lire. Avant, on était seul dans le dossier. Là, c’est rendu qu’ils sont 14 à nous écrire quelque chose : infirmière, infirmière des pansements, nutritionniste, ergothérapeute, etc. »

9 h 15

Première consultation : femme, 82 ans, influenza et pneumonie. Dès que le Dr Arsenault la rencontre, le charme opère, elle est apaisée. Ses visites ne durent jamais longtemps. La majorité du travail est fait en amont lors de la lecture du dossier. « Je vais direct au but. C’est quoi la chose la plus importante pour un malade ? Qu’il se sente rassuré. Si tu sors de là et que, quoi qu’il vive, il se sent rassuré et en confiance, tu as gagné. Ça ne sert à rien de lui expliquer en détail tous ses problèmes. Tu vas le faire capoter. »

9 h 16

Un cas lourd : influenza, pneumonie, insuffisance cardiaque, insuffisance respiratoire, insuffisance rénale, diabète, sténose aortique, hypertension, anémie…  « Le ministre veut que les spécialistes nous remplacent pendant qu’on sera dans les bureaux. Imagine si le gastro-entérologue prend en charge ce dossier-là, il peut être mélangé ! Il va consulter le pneumologue, le cardiologue, l’urologue, etc. Ils vont se mettre à six pour réfléchir… Et quand le patient va sortir, il va avoir six rendez-vous avec ces six spécialistes ? Combien ça va coûter ? C’est explosif, les tarifs des spécialistes ! »

9 h 30 à 11 h 

Après avoir consulté ses 11 patients les plus malades aux urgences, le médecin s’arrête 5 minutes pour un café. Il croise la gastro-entérologue et demande néanmoins son avis sur les saignements d’un patient. «  Si le Dr Barrette pense qu’il y a trop de femmes en médecine, pourquoi est-ce qu’on a admis trois femmes sur quatre dans les dernières années ? Avec l’arrivée massive des femmes, on a des médecins plus humains qui essaient de tout arranger. Ça prend plus de temps. Elles ne peuvent avoir un buzzer sur le bureau et dire, pendant que la personne pleure : “Tu as assez braillé, va-t’en !” »

11 h 05 à 13 h

Pas de pause lunch… Le médecin fait la tournée des étages : soins intensifs, oncologie, soins palliatifs, gériatrie. « Je me suis marié à la médecine. Je ne faisais que ça, 80 heures par semaine. Jusqu’à ce que j’aie mon cancer, il y a quatre ans. Je me suis calmé. Je travaille 45 à 50 heures. On est une génération de divorcés, d’alcooliques, de pères absents pour leurs enfants. Aujourd’hui, les mœurs ont changé. Les jeunes ne sont pas fous, ils veulent une qualité de vie en respectant plus leurs limites. »

13 h 05

Une erreur d’étiquetage  ! Le Dr Arsenault entre dans la chambre d’un homme souffrant d’un cancer du côlon : « On m’a donné du sel et c’est contre-indiqué  ! », prévient le patient. « Ça va trop vite ! s’exclame le Dr Arsenault. Il y a une montée en flèche des erreurs ! »

13 h 32

Auscultations… d’une infirmière qui a des palpitations. « Tout le monde est débordé et fatigué. Je lui ai prescrit des tests. Elle n’engorge pas le système et je ne facture rien au gouvernement… Ceux qui pensent qu’on est à l’argent se mettent un doigt dans l’œil. Tu sais que je facture seulement 5 actes de notre manuel de 500 pages ! Je perds de l’argent et je m’en fous ! »

13 h 35

Le Dr Arsenault donne congé à une patiente. Pas de place en CHSLD. Impossible de rester seule dans son appartement. « 40 % des personnes âgées rétablies sont bloquées à l’hôpital, parce qu’elles n’ont pas de place où aller. »

14 h

Pause lunch de 10 minutes. « Quand j’avais une clinique, je suivais 5000 patients. Ça me coûtait 50 000 $ de frais de bureau avant d’avoir commencé à travailler. Il y avait tellement de paperasse ! Pendant 27 ans, j’ai plus écrit que soigné de malades ! J’étais fatigué de faire ça. Si tu sors les médecins expérimentés des hôpitaux, ça va être le chaos ! Et mettre dans des bureaux des médecins qui ont toujours fait de l’hôpital ? Ça n’a ni queue ni tête ! »

14 h 10

Le Dr Arsenault annonce aux proches d’une patiente qu’elle va mourir. « Elle ne reviendra pas… dit-il à voix basse. Profitez-en pour passer des bons moments avec elle. Prenez le temps de tout lui dire ce que vous avez à lui dire. Est-ce qu’elle va avoir la chance de voir tout son monde ? » 

15 h

Le médecin a vu tous les patients de sa liste. « Je m’en vais bientôt, mais mes collègues les plus jeunes vont passer la soirée ici. Il y en a qui sont arrivés à 7 h ce matin et vont partir à 23 h. Ils font ça sept jours de suite. »

16 h

Départ de l’hôpital. 

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