Opinion hommage

Pour toi qui aimais l’école

Je reçois parfois des demandes de personnes en fin de vie qui veulent me rencontrer pour converser ou partager un instant de la conclusion du film de leur passage sur la Terre.

N’ayant que la biologie comme outil de discernement, malgré un amour pour la sagesse des anciens qui peut laisser croire l’inverse, j’écoute alors ces personnes âgées avec humilité. Si certaines expriment leurs peurs ou leurs regrets, d’autres se questionnent sur leurs croyances, mais la grande majorité des gens que j’ai rencontrés sont d’une grande sérénité devant la mort.

Pour moi, ces rencontres sont thérapeutiques, mais elles laissent aussi des traces dans mon corps qui sont très difficiles à effacer.

Celle que je vous raconte dans ce texte en est une. Si je tenais à adresser des mots à cette jeune fille qui s’appelle Aminata N’diaye, c’est avant tout pour que d’autres jeunes puissent s’inspirer de son histoire en ce début d’année scolaire.

Je veux lui adresser directement mon message, parce que la dernière fois que je l’ai vue, elle n’avait que le chuchotement comme mode de communication.

« La première fois qu’on s’est rencontrés, Aminata, c’était en 2012. Tu étais alors une enfant curieuse et ouverte venue apprendre la cuisine avec la Tablée des Chefs au marché Jean-Talon. Je t’avais taquinée en langue wolof et proposé d’enseigner au reste de ta classe à cuisiner le poulet yassa que nous mangeons au Sénégal. Dix-sept ans, c’est trop jeune pour mourir. Mais le cancer n’a pas d’ami et il avait pris possession de ton corps. Quand je suis venu te voir à l’hôpital, tu regrettais de ne pas revoir le Sénégal avant de partir. J’ai amené le drapeau pour que cette partie de notre pays que tu portes dans le cœur accompagne tes derniers jours. Tu aimais ton Sénégal natal. Je l’ai vu dans l’illumination et le sourire discret sur ton visage au contact du drapeau. La pire douleur de l’exil pour celui qui s’ennuie de ses origines, disait mon grand-père, c’est de quitter ce monde sans revoir et sentir les odeurs de la terre ancestrale.

« J’ai vu tes parents complètement déchirés s’incliner humblement devant le drame de leur vie. Et que dire de ton jeune frère complètement détruit, qui était en mode solution. Il voulait aller en médecine et trouver le remède qui allait remettre sur pied sa sœur adorée. Si j’ai décidé d’écrire un texte sur ton histoire qui est malheureusement celle de bien d’autres familles, c’est surtout pour raconter combien l’éducation était importante pour toi. Tu aimais l’école. Même couchée sur ton dernier lit et incapable de bouger, tu mentionnais encore ta tristesse de ne pas pouvoir entrer à ce cégep que tu avais tant désiré et pour lequel tu avais travaillé si fort. C’est une leçon de vie qui mérite d’être racontée à tous ces jeunes qui, à la moindre difficulté, baissent les bras ou tombent dans la passivité. Ces jeunes qui ne comprennent peut-être pas autant que toi qu’avoir accès à une éducation gratuite et de qualité est un grand privilège dans la vie.

La dernière fois que je t’ai vue, la formidable équipe de Saint-Justine qui était à ton chevet cherchait à t’organiser une remise des diplômes pour que tu puisses sentir la fierté de marquer le passage entre le secondaire et le cégep avant le grand voyage. Tu aimais l’école parce que tu y voyais une occasion de réaliser tes rêves auxquels tu n’as jamais renoncé jusqu’à la fin. Tu désirais finir tes études pour travailler un jour aux Nations unies et aider les enfants vulnérables dans les pays moins fortunés. Ton papa m’a raconté que ce désir était si puissant que, même possédée par les soins palliatifs, tu en rêvais presque toutes les nuits. C’est pour cette partie inspirante de ton histoire que je voulais la partager avec le Québec.

« Repose en paix, Aminata ! On se souviendra de toi comme d’une fille joyeuse et généreuse qui voulait changer le monde ! À défaut de ton corps qui repose dans ta terre d’accueil, le Sénégal apprendra peut-être à travers ces lignes qu’à l’autre bout du monde, il y a une de ses filles qui l’aimait tellement, que malgré la forte médication palliative, le simple contact avec son drapeau suffisait à illuminer son visage. »

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