Opinion 

SYSTÈME DE JUSTICE
L’heure du « buffet ouvert » est révolue

La Presse nous a appris la semaine dernière que les étapes préliminaires d’une demande en divorce avaient pris 23 jours d’audience devant la Cour supérieure. À ce jour, Monsieur et Madame ont dépensé près de 12 millions en frais d’avocats. 

Cette situation étonnante cristallise un problème préoccupant. Je parle de l’usage excessif du système de la justice civile étatique par la classe des bien nantis, qu’il s’agisse de matières familiales ou commerciales. Les temps ont changé et des ajustements au système s’imposent.

Il ne s’agit certes pas d’un cas isolé, puisque les longs litiges portés par des parties riches trouvent souvent leur solution dans le système de justice public, dont les coûts sont assumés par toute la population.

La primauté du droit justifie que l’État offre à tout citoyen un système de justice civile et en assume les coûts de fonctionnement. Or, rien n’exige que l’État offre le palais de justice et ses juges également à tous les justiciables, sans égard à la durée des procédures et aux moyens financiers des parties. L’État ne devrait plus assumer non plus les frais ressortant aux litiges commerciaux de longue durée dont l’issue ne vise pas à assurer la stabilité ou le développement du droit.

Le système actuel a l’apparence trompeuse d’un accès universel. Or, les justiciables de la classe moyenne peinent à se payer un avocat pour leur offrir des conseils, voire pour les accompagner pendant un procès d’une seule journée.

Les parties richissimes, quant à elles, jouissent d’un accès illimitée aux tribunaux pour leurs litiges sans fin. Ce sont, substantiellement, les impôts perçus de la classe moyenne qui paient cet accès.

Il ne s’agit pas ici des honoraires des avocats, mais bien du temps des juges, des greffiers, des huissiers et du personnel du palais de justice. Sans compter l’usage des salles d’audience et de l’enregistrement des débats.

Le temps est venu de limiter le nombre de jours d’audition qu’assure l’État gratuitement au justiciable. 

L’État pourrait, comme il a été suggéré, assumer pour tous les coûts des procès qui durent jusqu’à sept jours. Après cela, les parties qui en ont les moyens devraient en supporter ces coûts.

Une telle règle n’affecterait aucunement l’accès à la justice pour la population en général. Toutefois, cette règle inciterait les parties riches à simplifier leurs démarches ou à assumer les coûts de leurs choix stratégiques. Sans compter que plusieurs litiges commerciaux peuvent trouver leur solution rapidement par le recours à l’arbitrage commercial.

Les frais de fonctionnement quotidien d’une salle de cour — qui pourrait se chiffrer à 10 000$ par jour — ne représenteraient qu’une fraction des dépenses reliées aux affaires majeures des parties riches. D’ailleurs, dans l’affaire familiale dont on a parlé la semaine dernière, les dépenses de l’une des parties incluaient un contrat de service avec une firme de relations publiques pour assurer la diffusion de la décision de la Cour supérieure.

L’accès universel au procès illimité ne garantit forcément pas un accès universel à la justice. L’heure du « buffet ouvert » au palais de justice est révolue. Il est temps que l’on agisse afin de le reconnaître.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.