Opinion  Syrie

À la recherche d’une vraie stratégie

Créer une véritable coalition de toutes les forces contre le groupe État islamique exige des concessions importantes de toutes les parties

Les pourparlers de Vienne sur l’avenir de la Syrie peuvent offrir un certain espoir sur le plan diplomatique mais n’offriront pas de solution à la crise à moins de changements fondamentaux dans la gestion du conflit par la coalition.

C’est l’équilibre des forces en présence en Irak et en Syrie qui doit être modifié et cela exige des membres de la coalition de jeter du lest quant à leurs intérêts les plus contradictoires. Peut-être que les attaques terroristes à Paris inciteront enfin les différents acteurs à trouver les accommodements.

Chaque participant au sein de cette guerre civile a des attributs et objectifs spécifiques. Les rebelles syriens au sud et sur une partie de la côte syrienne sont à la fois séculiers et nationalistes et ont donc un intérêt réel à préserver l’intégrité territoriale de leur pays.

Il en va évidemment de même du régime Assad qui contrôle la majeure partie de la côte et qui est appuyé par les puissants combattants du Hezbollah à la frontière libano-syrienne. Al-Nosra peut bien être la section locale d’Al-Qaïda, mais ce sont également des nationalistes syriens qui représentent une force de frappe bien meilleure que l’Armée syrienne libre qui, quant à elle, peut peut-être défendre son territoire, mais est incapable de monter une opération d’envergure.

Il y a évidemment les Kurdes qui ont fait preuve de capacités remarquables contre le groupe État islamique (EI) – la prise récente de Sinjar le démontre à l’envi –, mais ils se font tabasser par la Turquie d’Erdogan. Les Kurdes veulent occuper le maximum de terrain pour accréditer leur demande d’un Kurdistan futur, fût-il utopique.

Ainsi leurs brillantes actions se limitent au territoire kurde ancestral. Ils contrôlent le territoire au nord-ouest d’Alep et toute la région à l’est de l’Euphrate, le long de la frontière turque. La Turquie ne veut pas que les Kurdes traversent la rivière pour combattre l’EI et établissent une zone kurde complète le long de sa frontière.

Dans le ciel, il y a les Américains et les Russes qui s’opposent notamment sur le maintien ou non du président Assad tandis que l’Iran appuie le régime syrien avec une mission de formation expéditionnaire, son service de renseignements et des forces policières. Ces configurations sont en contradiction quasi parfaite. 

Pendant ce temps, l’EI a été freiné dans son élan, mais pas repoussé. 

La tuerie de Paris rend impératif l’élimination des moyens d’action de l’EI. Les bombardements aériens ne le détruiront pas même si le massacre à Paris a suscité une forte expansion des opérations. Il faut aussi se rendre à l’évidence que l’élimination d’Assad ne fera pas avancer les choses. La vraie solution, c’est de briser l’équilibre des forces actuelles qui découle principalement des intérêts contradictoires. Créer une véritable coalition de toutes les forces contre l’EI exige des concessions importantes de part et d’autre : 

– Assad doit faire partie de la transition, nonobstant les oppositions américaine et turque.

– L’Iran est un partenaire incontournable, dont la coopération exige sans doute une accélération de la levée des sanctions ainsi qu’une reconnaissance de son influence régionale, notamment dans l’est de l’Irak.

– Il faut reconnaître la légitimité du rôle de la Russie dans le conflit et l’inciter à limiter leurs frappes aux cibles de l’EI (ils ont commencé à le faire depuis la perte de leur avion au départ de Charm-el-Cheikh) en échange de l’ouverture d’un dialogue global sur l’Ukraine.

– Il faudra que convaincre les peshmerga kurdes d’attaquer au-delà du territoire kurde en Syrie, notamment sur Raqqa, la capitale de l’EI, en échange d’un engagement à accorder la plus grande autonomie possible aux Kurdes de Syrie et d’Irak, en espérant que les Kurdes d’Irak et ceux de Syrie se réconcilient.

– Il faudra convaincre Erdogan de s’engager davantage dans la lutte contre l’EI en échange d’une garantie que jamais un État Kurdistan souverain et indépendant ne sera créé.

– Ce qui serait peut-être le plus difficile, notamment pour les États-Unis, c’est d’accepter Al-Nosra comme allié dans la lutte contre l’EI à condition que le groupe se joigne aux négociations futures sur la transition en Syrie.

La mise en œuvre d’une telle stratégie en Syrie et en Irak exige un engagement diplomatique beaucoup plus musclé de la part des États-Unis. Au moins, la coalition serait réelle sur le terrain et dans les chancelleries et les discussions à Vienne auraient peut-être une vraie raison d’être à long terme.

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