Magnifique découverte
Youpi ! Vous savez qu’il y a aussi un recueil de poésie d’elle qui vient de sortir au Noroît ?
En effet. Nous avons fait une soirée autour des deux livres, la semaine dernière, à la librairie Olivieri. Quand la traductrice des poèmes, Isabelle Miron, en a fait la lecture, j’ai trouvé ça assez frappant. Par ailleurs, quand je dis youpi, ce n’est pas tant pour la traduction que j’ai faite que pour l’auteure. Ç’a été un tel choc quand j’ai lu ça !
Les silences. C’est entre les lignes que ça se passe, pas tant dans ce qui est dit que dans cette espèce de tension qui finit par apparaître. C’est écrit très simplement, puis tout à coup un trou s’ouvre en dedans de soi quand on lit. Arriver à rendre ça en français, ç’a été un beau défi.
Parce que c’est beau à tomber à terre. Pardon, c’est une réponse un peu piétonne… La qualité de l’attention qu’elle porte à ses personnages, c’est magnifique. Et elle ne les juge jamais. Pourtant, il y a des situations qui sont assez étranges. Les gens vont se dire, par exemple, pour la nouvelle Lillian, derrière la porte : ça a l’air bizarre, la madame qui est en train d’écrire sur ses genoux dans un cagibi de salle de bain. Mais non, je te jure, c’est une madame ordinaire en train d’écrire des lettres, son mari est en train de dormir à la maison, et ça marche ! On ne peut pas résumer ce livre, il faut le lire. Et cette bonté qu’elle a pour ses personnages…
C’est vrai, mais je trouve que ça fait un peu abstrait comme terme, alors que le livre est tellement concret, tout le temps ! Ça passe par ce qu’on fait dans la vie de tous les jours, qu’elle ne regarde jamais de haut. C’est plutôt la vie qui se vit les pieds à terre, ou même les fesses à terre. Je ne sais pas comment elle fait ça. J’ai beau l’avoir traduite et examinée sous toutes ses coutures, c’est un mystère.
Non, jamais ! Il n’y a pas d’explications, pas de mises en contexte – la mise en contexte se fait à travers les yeux du personnage. Dans le cas de Lillian, par exemple, celle qui écrit dans les toilettes, tu finis par comprendre ce qu’elle est en train de faire. Mais jamais il n’est dit : il était une fois une dame assise dans les toilettes d’une université. Et ça marche à fond la caisse. Il n’y a aucun lyrisme non plus, pourtant c’est d’une profondeur par moments très bouleversante. Mon grand regret, c’est qu’elle n’en écrira plus jamais.
Oui, c’est certain. On voit le monde à travers le regard des femmes, que ce soit sur les autres femmes, les hommes, les enfants. Tu sens aussi que ces femmes ont une solidité presque « naturelle ». Elles se tiennent debout dans leur vie. Il n’y a pas de lyrisme, pas de ressentiment, le combat est dans la vie de tous les jours. Dans tous les gestes.
Oui, mais je ne sais pas si elle se pensait audacieuse. Elle fait ça tellement calmement, lentement. Elle prend le temps qu’il faut pour voir les choses et j’ai de la difficulté à l’imaginer polémique et démonstratrice. Pour moi, une des images fortes du livre, c’est justement lorsque Lillian, qui est assise dans les toilettes, se souvient de son fils qui s’est cassé en petits morceaux. De cette fois où elle l’a juste vu du coin de l’œil sur le toit de la remise, et qu’elle espère que cette fois-ci, il va réussir à s’envoler. Quand j’ai lu ça la première fois, le livre m’est tombé des mains, littéralement. C’est juste la simplicité et la beauté de cet intervalle entre le moment où elle espère, et celui où elle entend les hurlements de son fils.
Oui, mais c’est vraiment un regard sur la vie. C’est de l’art. Ce n’est pas sociologique. La tendresse, et tout ça, c’est une entreprise artistique.
Oui, mais je me fie à Jean-Marie Jot, des Allusifs, pour trouver autre chose qui va m’ébranler autant. J’ai été chanceux avec cette maison, j’ai traduit deux livres de Timothy Findley, dont j’étais déjà presque un adorateur à cause de son théâtre, et Le poisson de Dean Garlick, où j’ai découvert un univers, une folie. Alors j’attends le prochain défi !
Si c’est ça l’amour
Bronwen Wallace
Traduit par René-Daniel Dubois
Les Allusifs
259 pages
Lieu des origines
Bronwen Wallace
Traduit par Isabelle Miron
Éditions du Noroît
94 pages
Extrait de la nouvelle Chalet suisse
« Lydia Robertson ne sait pas vraiment quel nom lui donner, à cette émotion qui s’empare régulièrement d’elle ces temps-ci, même si à présent elle l’a suffisamment fréquentée pour la reconnaître dès qu’elle commence à se pointer. À ce petit chatouillement, à l’arrière du nez, juste là, là-haut, à ce petit endroit, entre les yeux. Comme un éternuement qui se préparerait, mais qui ne se produit jamais. Au lieu de ça, elle a l’impression qu’elle va éclater en larmes sans la moindre raison, puis ça se met à se répandre, partout en elle, ce, ce quoi que ce soit, comme un rougissement, ou bien comme une bouffée de chaleur (quoiqu’elle est toujours, sans l’ombre d’un doute, un peu jeune pour ça) et alors... »