Fermeture du Jardin Tiki
Disparition d'un des hauts lieux du kitsch montréalais
Collaboration spéciale
À la fin des années 50, la mode était aux ambiances exotiques et le Québec comptait plusieurs restaurants à saveur « pop-polynésienne », un style provenant des États-Unis.
De nos jours, celui qu’on surnomme familièrement « le Tiki » est un des rares témoins de cette époque. Il est sans conteste un des hauts lieux du kitsch montréalais. Mais voilà que l’institution fermera définitivement ses portes à la fin du mois pour faire place à une tour des Résidences Soleil du promoteur Eddy Savoie.
Un doux fond sonore de guitare
(hawaïenne) vous accueille, vous êtes au bon endroit. On se croirait presque dans une scène de d’Elvis Presley…« Kitsch ! », lance avec fierté Danny Chan, propriétaire du restaurant, lorsqu’on lui demande à quel type d’esthétique appartient son restaurant. Plusieurs éléments du décor datent véritablement des années 50 puisqu’ils proviennent du fameux Kon Tiki du Sheraton de la rue Peel, ouvert de 1958 à 1981.
Le père de M. Chan y était serveur durant sa jeunesse. Flairant la bonne affaire, il a tout racheté dans un encan suivant la fermeture pour ensuite ouvrir le Jardin Tiki, en 1986.
Selon la « kitschologue » Roxanne Arsenault, le style pop-polynésien du Tiki combine plusieurs influences, dont les styles hawaïens et chinois.
« Le Jardin Tiki, c’est le meilleur représentant de ces lieux singuliers qui se voulaient dépaysants. Il incarne parfaitement un exotisme idéalisé, qui reflétait le désir d’ouverture sur le monde des populations de l’après-guerre. »
— Roxanne Arsenault, auteure d'un mémoire de maîtrise sur les commerces kitsch exotiques au Québec
M
Arsenault insiste : le Tiki, « c’est le plus beau, le plus vaste et le plus important des établissements pop-polynésiens au Québec ». Après le Tiki, il restera seulement le motel Coconut à Trois-Rivières et, dans une moindre mesure, le restaurant Aloha, à Saint-Jérôme.Après le décès de son père en 2012, Danny Chan a repris les rênes du Jardin Tiki, aidé de ses frères. Les yeux dans le vague, il balaie, d’un regard triste, la salle à manger complètement vide en ce lundi matin, comme si cela lui procurait un avant-goût du 29 mars, lendemain de la fermeture définitive du restaurant.
Eddy Savoie a fait à la famille Chan une offre qu’elle ne pouvait pas refuser, mais les émotions sont là, presque tangibles : tristesse, regret, nostalgie. Qu’adviendra-t-il de tous les éléments du décor ? « Le mobilier fait partie de la transaction. J’imagine qu’il y aura un encan », avance M. Chan, avec une inquiétude mal dissimulée.
Selon Roxanne Arsenault, ces objets ne peuvent tout simplement pas être détruits. Elle évoque une collaboration muséale, comme dans le cas du Musée McCord et de l’ancien restaurant Ben’s du centre-ville de Montréal. Entre-temps, elle prévoit prendre le plus de photos possible et peut-être même y tourner un vidéoclip avec son groupe de musique.