Éditorial Proches à bord des avions-ambulances

Pour en finir avec les orphelins des airs

Le ministre de la Santé Gaétan Barrette a ouvert la porte à la possibilité que les enfants malades ou blessés qui sont évacués d’urgence par avion puissent enfin être accompagnés d’un proche. Après des décennies de fermeture totale, c’est encourageant, mais attention : pour l’instant, la porte n’est qu’entrebâillée. Soignants et parents vont devoir peser de tout leur poids pour en finir avec cette politique cruelle et absurde qui a cours depuis des décennies.

« La question de la présence familiale durant une maladie grave a été beaucoup discutée dans la littérature et il est clairement démontré que celle-ci se traduit par de meilleurs résultats pour les enfants gravement malades », explique en entrevue téléphonique la responsable du comité sur la santé des Premières Nations, des Inuit et des Métis à la Société canadienne de pédiatrie.

La pratique d’Évacuation aéromédicale du Québec (EVAQ), qui refuse la présence d’un parent aux côtés de son bébé ou de son enfant transporté d’urgence par avion, n’existe pas dans les autres provinces, indique la Société canadienne de pédiatrie. Le manque de place à bord, qui justifie cette règle au Québec, est vu comme une exception en Ontario. « De telles circonstances sont rares et d’habitude, nous sommes capables d’accommoder les escortes familiales », témoignage le directeur des communications de l’organisme Ornge, James MacDonald.

L’absence du parent, qui doit prendre un vol commercial et arrive avec plusieurs heures, voire une journée, de retard, crée des situations particulièrement intenables pour les jeunes Inuits, ont dénoncé des médecins de l’Hôpital de Montréal pour enfants dans une lettre rendue publique à la fin janvier.

Bébés et enfants terrorisés ou inconsolables, ne parlant ni l’anglais ni le français, pour lesquels les soignants doivent prendre des décisions sans pouvoir consulter la famille : voilà des circonstances déchirantes qu’un service public comme l’EVAQ devrait chercher à éviter autant que possible, et non à institutionnaliser.

Pourtant, il a fallu que les patrons des urgences et des soins intensifs du Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine, de même que l’Association des pédiatres du Québec et la Société canadienne de pédiatrie, joignent leurs voix à celles de leurs confrères de l’Hôpital de Montréal pour enfants, pour que les choses bougent. « J’ai demandé à mes fonctionnaires de revoir tout ça », a indiqué le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, mardi.

L’EVAQ a effectué des visites dans le Nord l’été et l’automne dernier pour voir comment le service pourrait être amélioré, incluant la question des accompagnateurs, indique-t-on aujourd’hui du côté de l’organisme.

Ce n’est pas fait.

Créer de la place pour qu’au moins un parent puisse monter à bord nécessite de regarder plusieurs aspects-composition de l’équipe médicale, règles de transport (utilisation des strapontins, autorisation des passagers), peut-être même le réaménagement des avions.

Et on s’attaque à une résistance de longue date. Déjà au début des années 90, la pédiatre Johanne Morel, qui dirige le programme de santé des enfants autochtones et du Nord de l’Hôpital de Montréal pour enfants, avait envoyé au ministre de la Santé d’alors, Marc-Yvan Côté, une pétition de plusieurs centaines de signatures recueillies dans une vingtaine de communautés inuites et cries. Silence radio – à part une lettre de l’EVAQ envoyée quelques mois après pour expliquer l’impossibilité de la chose.

En 2005, des parents des Îles-de-la-Madeleine ont dû noliser un avion privé au coût de 8000 $ pour que leur bébé de trois mois, qui était encore allaité, puisse être accompagné par sa mère. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse avait envoyé une lettre au ministre de la Santé Philippe Couillard pour l’aviser que la présence rassurante d’un parent est un droit reconnu par la Charte, et qu’une politique administrative brisant le lien étroit entre un enfant en bas âge et son parent devait impérativement être modifiée.

La politique de l’EVAQ n’ayant pas changé, elle a continué à rendre tragiques des événements déjà bien assez douloureux – comme le décès, raconté dans nos pages, du petit Mattéo, tombé en mort cérébrale durant le transport, sans la présence de sa mère.

Le président par intérim de la Commission des droits de la personne, qui rencontrait le ministre Barrette hier, a redemandé que la politique soit modifiée sans tarder.

Pour la première fois en près de 30 ans, un ministre de la Santé se montre ouvert à la possibilité de corriger cette aberration. On a une lueur d’espoir, mais pas d’engagement, ni d’échéancier. Ce sera à suivre.

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